La vérité sur les vrais-faux démentis des géants du CAC 40

Un conseiller historique du CAC 40 ironise : « Cette phrase, ce n’est certainement pas Martin Bouygues qui l’a improvisée. » Il fait allusion à la réponse du patron du géant du BTP et des télécommunications apportée à la question d’un analyste sur la possible cession de la participation des 29% de Bouygues dans Alstom : « Cette question est sans objet », avait sèchement répondu Martin Bouygues, le 26 février. Une forme de démenti, alors que Patrick Kron, PDG d’Alstom, négociait avec General Electric et avait même dîné deux semaines plus tôt au Bristol avec Jeff Immelt, son patron ! Alors, pourquoi ce doyen du CAC 40 ne s’est-il pas contenté du traditionnel « pas de commentaire » ?

Tout en nuances

Marie-Noëlle Dompé, spécialiste de droit boursier au sein du cabinet d’avocats Darrois, éclate de rire : « Mais parce qu’on sait bien que s’il dit cela, c’est comme s’il acquiesçait ! » De là à raconter un bobard… Jean-Michel Darrois, conseil de Bouygues, n’est pas d’accord : « Sa réponse était parfaitement correcte : Bouygues n’étant l’émetteur ni d’Alstom ni de General Electric, ce n’était pas à lui de parler. » Sollicités par Challenges, quelques gourous de la communication, comme Stéphane Fouks à Havas, n’auraient pas validé cette réponse. Michel Calzaroni (DGM) précise que « la question est peut-être hors sujet, mais pas sans objet. Il faut avoir prête une réponse qui dise tout et son contraire ». La préconisation d’Eric Giuily, le patron du cabinet CLAI ? « La formule consacrée aujourd’hui est : « C’est le devoir de toute entreprise de faire régulièrement la revue stratégique de ses activités. » »

Mensonge ou vérité, ce n’est même pas la question. Martine Charbonnier, la secrétaire générale adjointe de l’Autorité des marchés financiers (AMF), explique : « En général, une information n’a pas à être divulguée si l’entreprise est en mesure de garder la confidentialité. » Ce qui fait rire Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires : « Le démenti est à la Bourse ce que la langue de bois est aux politiques. »

L’AMF se fâche

Marie-Noëlle Dompé garde en mémoire cette pépite servie en 1996 par Claude Bébéar, dans la nuit précédant l’OPA d’Axa sur UAP, au président de la COB – l’ancêtre de l’AMF –, qui lui demandait des comptes sur les rumeurs persistantes : « Mais non ! Ce n’est pas à l’ordre du jour ! » Tout est dans le « du jour », puisque l’opération n’était qu’à l’ordre du… lendemain. Une nuance lourde de conséquence.

Car, comme le souligne Stéphane Fouks, « il est interdit d’être pris en flagrant délit de mensonge ». Dans ce cas, les lois de l’AMF sont implacables. LVMH en a fait les frais l’an dernier, avec une amende de 8 millions pour avoir caché ses intentions envers Hermès pendant plus de dix ans, se proclamant du jour au lendemain actionnaire de 17,2% du maroquinier. Deux ans auparavant, Wendel et son ex-directeur général Jean-Bernard Lafonta se faisaient pincer pour les mêmes motifs dans leur prise de participation rampante de Saint-Gobain en 2007.

Jean-Louis Beffa, alors PDG, se souvient de ce communiqué laconique de Wendel qui soulignait la « qualité et le potentiel de l’entreprise, [et] approuv[ait] la stratégie ». Mais Beffa se méfie. Et apprend que Wendel a encore un ticket de 10% de Saint-Gobain à Natixis. Ni le fonds ni la banque ne vendront la mèche, et pourtant, la suite lui donnera raison.

Mais plus ça va, plus l’étau se resserre. L’AMF durcit les règles. On l’a ainsi vue hausser le ton comme jamais lors de la bataille pour SFR qui opposait Bouygues Telecom et Numericable. Au bout d’un mois de ragots à gogo, elle jette un pavé : « Nos demandes d’informations supplémentaires n’ayant à ce jour reçu que des réponses partielles, l’AMF rappelle que Numericable, Vivendi et Bouygues s’exposent à des risques de sanction en cas de non-respect de la réglementation. »

Cette prise de parole du régulateur « est en soi une anomalie, le signe d’un malaise », admet le président de l’AMF Gérard Rameix sur le site du Figaro. « Dans ce dossier, nous avons un sentiment de vox clamantis in deserto ! » regrette-t-il.

Reniement interdit

La stratégie de la « non-information » se révèle parfois payante. Car le démenti pur et simple engage. Lorsque GDF Suez assure, en mai dernier, à quiconque l’interpelle qu’il n’est pas vendeur de tout ou partie de sa participation dans Suez Environnement, les règles de l’AMF lui interdisent de se renier pendant six mois. Lorsqu’une fuite concerne un plan social, cette fois, c’est le droit social français qui s’applique : la crainte du délit d’entrave poussera une entreprise à retarder de quelques mois son plan. Le plan de Danone dans ses usines LU en 2001 a créé un électrochoc. Déflorée par Le Monde, cette malencontreuse fuite obligera Franck Riboud à décaler son plan de quatre mois.

On admire donc le travail du constructeur automobile Peugeot Citroën dans l’annonce de la fermeture de son usine d’Aulnay-sous-Bois. En juin 2011, un document confidentiel sort dans la presse, mais le groupe « affirme que la fermeture du site d’Aulnay n’est pas un sujet d’actualité ». Six mois plus tard, pourtant, Philippe Varin, le président, reconnaît « une réduction des effectifs inévitable ». Encore six mois, et la pression du ministre Arnaud Montebourg l’obligera à officialiser la fermeture pour 2014. Finalement, Aulnay ferme… en 2013.

Un aveu salvateur

L’entreprise a horreur des mauvaises nouvelles. Surtout lorsqu’elle n’a pas trouvé le storytelling pour l’accompagner. On se souvient de Christian Streiff, dont on annonçait le départ d’Airbus pour Peugeot en octobre 2006. Le groupe aéronautique dément « catégoriquement ». Sauf que, un mois plus tard, Streiff signe le transfert de l’année.

La honte ? Parfois, les patrons gagneraient à l’admettre. C’est bien ce qu’avait fait Arnaud Lagardère dans cette fameuse interview sur l’affaire EADS, où il avait plaidé « l’incompétence, plutôt que la malhonnêteté » dans l’affaire du délit d’initié faisant suite aux retards de l’A 380. Risée des marchés, il a pourtant été épargné par l’AMF. Jean-Marie Messier et son « Vivendi va mieux que bien ! » lancé le 2 mars 2002, un an avant une perte astronomique du groupe, de 14 milliards, n’a pas profité de mansuétude. Mais, comme le dit un ancien administrateur de Vivendi, « lui, c’est un menteur pathologique ».


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