Le pape impose la transparence financière au Vatican

Le pape François a créé lundi 24 février un secrétariat (ministère) de l’Economie, première décision d’ampleur dans le cadre de sa grande réforme de la Curie. Jean-Luc Pouthier, président du Centre d’Etude du Fait Religieux Contemporain (CEFRELCO), conseiller de la rédaction du site fait-religieux.com, et enseignant à Sciences Po, explique les enjeux sous-jacents à cette décision.

Comment se fait-il qu’un Etat comme le Vatican ait attendu aussi longtemps pour se doter d’un ministère de l’Economie ?

Il existait déjà une organisation qui s’appelle l’A.P.S.A (l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique), une sorte de gouvernement des affaires économiques du Saint-Siège dépendant de la secrétairerie d’Etat, avec un conseil des affaires économiques. Ce qui est nouveau, c’est que ce secrétariat (ndlr : ministère) de l’économie aura autorité à la fois sur les affaires économiques du Saint-Siège, et de l’Etat de la cité du Vatican. En effet, il y a deux entités à la tête de l’Eglise: l’Etat de la cité du Vatican, avec son gouvernorat, et le Saint-Siège qui est une organisation non gouvernementale, mais un sujet de droit international, avec son gouvernement (la Curie) et son premier ministre (le secrétaire d’Etat, Mgr Parolin).

Ce sont deux sujets de droit différents. Il y a d’un côté un micro-Etat dont le pape est le chef d’Etat, et dont 500 personnes environ possèdent la nationalité, et de l’autre côté, il y a un organisme beaucoup plus important qui administre l’Eglise catholique c’est-à-dire un milliard de personnes. Donc c’est très déséquilibré mais comme tout cela est regroupé au même endroit, cela donne lieu à des rivalités. Dans le domaine international, l’acteur principal, c’est le Saint-Siège, plus que le Vatican. Mais c’est le Vatican qui joue le rôle de paradis fiscal alors que c’est l’entité la plus petite.  
Le but de cette réforme est principalement d’obtenir plus de transparence financière. 

Quels sont les écueils auxquels le ministère risque d’être confronté?

Le principal écueil serait qu’à l’intérieur du Saint-Siège et du Vatican continuent d’exister des organismes qui jouissent d’une autonomie de gestion sans avoir de comptes à rendre. Actuellement, il y a une congrégation (un « ministère ») qui gère ses finances de façon autonome, c’est celle qui représente les missions : la Congrégation de Propaganda Fide (ndlr : Propagation de la Foi). De plus, l’IOR (Institut pour les Œuvres de Religion) fait « fructifier » l’indemnité qui a été donnée par l’Italie au Vatican en 1929, au moment de sa création.

Il s’agissait d’une somme considérable censée compenser la disparition des Etats du pape en 1870, lorsqu’a été achevée l’unité de l’Italie.Depuis, ce portefeuille a attiré bien des convoitises. Le secrétariat qui est créé va contrôler toutes ces structures dans une transparence nécessaire pour que le Vatican et le Saint-Siège répondent aux critères du Conseil de l’Europe. Il y a des personnes qui rechignent à cela parce que cela signifie que la banque d’Italie aura plus ou moins connaissance des finances de l’Eglise et des noms de ceux qui ont des comptes au Vatican…

En quoi sera-t-il différent d’un ministère de l’économie « normal »?

C’est un ministère de l’économie qui n’a pas d’économie productive à gérer, ou quasiment pas. Il ne gère que des flux d’argent qui échappent en plus aux grands organismes financiers internationaux. L’argent que le Saint-Siège récupère par le biais de quêtes dans les paroisses du monde entier ce n’est pas exactement les comptes d’HSBC ! C’est très atomisé, très artisanal.

Justement, quelles sont les principales ressources et dépenses du Vatican et du Saint-Siège?

Pour le Vatican, les ressources ce sont les entrées dans les musées, les timbres, les visites de la basilique Saint Pierre, les rentrées de l’IOR. C’est un Etat qui n’a pas de ressources propres. Ses dépenses, ce sont l’entretien, le personnel. Le budget du Vatican proprement dit est plutôt équilibré.
Pour le Saint-Siège, l’essentiel des ressources ce sont les dons des Eglises locales. C’est très difficile à mesurer, très irrégulier. Les dépenses ce sont l’administration centrale à Rome (le fonctionnement de la curie romaine), la vie de la curie (par exemple les dépenses pour les voyages pontificaux qui coûtent très cher). Mais l’administration du Saint-Siège ce n’est pas seulement ce qui est à Rome. Ce sont aussi les ambassades du Saint-Siège (les nonciatures) dans le monde. Or, cela coûte cher de gérer un réseau d’ambassades. Et puis il y a des appuis aux Eglises locales.


L’équilibre du budget du Saint-Siège sera-t-il un enjeu important pour le nouveau ministère? 

Oui, c’est important parce que sous Jean-Paul II les finances s’étaient souvent trouvées déséquilibrées du fait notamment des voyages à l’étranger. Cela s’est ralenti sous Benoît XVI mais il y avait encore des problèmes budgétaires importants. Et puis il ne faut pas oublier que non seulement il y a le budget central, mais il y a aussi celui des conférences épiscopales locales. Or, dans les pays qui étaient autrefois les plus gros pourvoyeurs, l’influence de la religion catholique diminue : il y a eu la France, et maintenant il y a l’Allemagne, et les Etats-Unis où les procès consécutifs aux crimes des prêtres pédophiles ont coûté très cher. Donc les Eglises de pays qui étaient autrefois de gros contributeurs au budget du Saint-Siège, comme l’Allemagne et les Etats-Unis, sont aujourd’hui moins à l’aise, entre guillemets. Quant au pays dits de missions, eux étaient jusqu’ici hors contrôle puisque gérés par Propaganda Fide.

Il y a donc une reconfiguration des flux de ressources et de dépenses pour l’Eglise?

Oui, tout à fait.

Que sait-on de celui qui jouera le rôle de « ministre de l’économie », le cardinal australien George Pell?

Il est plutôt marqué comme catholique social, ce n’est pas un traditionaliste. C’est lui qui avait voulu que les Journées Mondiales de la Jeunesse aient lieu à Sydney, donc loin du cœur de l’Eglise parce que l’Australie n’est pas connue comme un pays particulièrement catholique. C’est quelqu’un qui s’est beaucoup battu pour que la place de l’Océanie au sein de l’Eglise soit étendue. Je pense qu’assez vite il va mettre en place des systèmes de contrôle et de régulation de l’ensemble des finances de l’Eglise. Quelle forme cela va prendre, c’est difficile à savoir. 

Peut-on craindre que la création de ce ministère ne soit qu’un effet d’annonce?

Non, je pense que c’est vraiment la volonté du pape François de mettre en place une organisation plus efficace. Jean-Paul II comme Benoit XVI se sont beaucoup occupés de gérer l’Eglise sur le plan pastoral, par exemple en tentant d’enrayer la diminution du nombre des catholiques en Europe. Ils avaient plutôt des soucis administratifs internes. Et ils se sont fait piéger par le fait qu’avec la globalisation, une institution comme l’Eglise est beaucoup plus visible qu’auparavant sous tous les aspects de sa gestion. Il y a cinquante ans, peu de gens se préoccupaient des comptes du Saint-Siège. Il a fallu que la presse s’en empare pour que cela sorte. Sans compter le rôle des flux financiers internationaux, celui des considérations éthiques…

Aujourd’hui, ce n’est plus possible et je pense que le pape actuel a conscience que ce n’est plus possible. L’Eglise est un organisme très ancien avec ses règles, ses habitudes, qui entrent en contradiction avec la société mondialisée d’aujourd’hui. Ce ministère sera un lieu d’adaptation de règles anciennes au présent. Il n’y a pas eu de réforme administrative de cette importance pour la curie romaine depuis Paul VI, après le concile Vatican II.


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