L’économie russe tient sur le fil

Dans les jours qui ont suivi le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, le système financier russe semblait sur le point de s’effondrer. L’Occident venait d’imposer une série de sanctions financières qui ont provoqué la plongée du rouble et poussé les habitants paniqués à retirer leur argent des banques. Mais la banque centrale a fortement relevé ses taux, des mesures drastiques de contrôle des capitaux ont été prises et des liquidités injectées dans le système bancaire. Ainsi, la devise a fait mieux que se reprendre, dépassant même son niveau pré-guerre. Soi-disant au bord de la banqueroute, la Russie parvient finalement encore à rembourser sans problème ses obligations en devises.

Consommation frénétique

Plus globalement, l’économie russe, relativement fermée et autosuffisante, résiste bien malgré les sanctions. Le 18 mai, l’institut de statistiques Rosstat a annoncé une croissance de 3,5% du PIB au premier trimestre. Le commerce extérieur est florissant. A la suite des restrictions, les importations ont certes drastiquement chuté, d’environ 44% depuis le début de la guerre, les entreprises étrangères se retirant ou freinant fortement leurs livraisons. La banque centrale russe reconnaît que les entreprises « font face à des difficultés considérables de production et de logistique » . Et les prix à la consommation ont augmenté de 10%.

Mais l’inflation est inégale: le prix de la vodka, produite localement, est resté stable et les prix à la pompe de l’essence et du diesel n’ont pas bougé. La consommation se tient, même si la frénésie d’achats dans l’électroménager et l’équipement de la maison laisse à penser que certains Russes stockent en prévision d’une inflation qui pourrait empirer.

Si l’économie russe s’en sort, c’est que son moteur, la vente d’hydrocarbures, n’a jusqu’ici pas été touché. D’ailleurs, les exportations ont grimpé de 8% depuis le 24 février, dopées par l’envolée du prix du gaz et du pétrole… justement provoquée par l’invasion de l’Ukraine. Le pays encaisse environ 1 milliard de dollars par jour dans ce secteur, et au premier trimestre, les recettes se sont ainsi accrues de 80% par rapport à il y a un an (lire graphique) . Du coup, la Russie pourrait enregistrer un excédent de la balance courante de plus de 250 milliards de dollars cette année (15% du PIB), plus du double des 120 milliards de 2021.

Selon Elina Ribakova, analyste à l’Institut de la finance internationale, l’efficacité des sanctions financières occidentales a montré là ses limites. Pour avancer, il faut donc frapper là où ça fait mal: les hydrocarbures. Les Etats-Unis ont déjà arrêté tout achat et l’Union européenne discute d’une interdiction des importations de pétrole et s’organise pour réduire sa dépendance au gaz. Le second semestre sera donc plus sombre pour la Russie.

Effet retard

Même si son PIB ne plongera pas de 15% cette année comme le prévoyaient certains économistes occidentaux, le ministère russe du Développement économique a indiqué le 18 mai prévoir une récession entre 7,8% et 8,8% en 2022, basée sur une retombée du prix du pétrole. Celle-ci pourrait s’aggraver si, sanctions aidant, le pays devait brader ses barils pour vendre à des clients prêts à prendre le risque d’encourir les foudres occidentales.

Mais même si l’UE, première cliente des hydrocarbures russes, finit par s’accorder sur un embargo total, vu les contrats en cours, les achats européens ne diminueraient que de 19% cette année et le plein impact ne se ferait sentir qu’au début de 2023 – ce qui laisse du temps à Vladimir Poutine pour amasser les milliards nécessaires à sa guerre.

Commerce extérieur à plein régime

En attaquant l’Ukraine, la Russie a provoqué l’envol des cours des hydrocarbures à son profit, un piège pour des pays comme l’Allemagne et l’Italie, très dépendants.