Les 5 raisons qui peuvent faire exploser le prix du baril de pétrole

La confiance est de retour sur les marchés pétroliers. Le prix du « light sweet crude » (WTI), référence américaine du brut, évolue depuis mi-septembre au-dessus des 50 dollars soit son plus haut niveau depuis mai 2017. Dans le même temps, le Brent (référence de la mer du Nord) se situe au-dessus des 55 dollars, son record depuis avril dernier. Les cours qui se sont envolés en juillet, avant de redescendre en août, connaissent depuis un mois une hausse sensible. Ce rebond est-il durable? Voici cinq raisons qui tendent à penser que oui.

1. La production américaine stagne

Le redémarrage en début d’année des projets d’hydrocarbures de schiste aux Etats-Unis ne semble avoir été qu’un trompe-l’œil. « La productivité des producteurs de pétrole de schiste aux États-Unis a augmenté en janvier et en février mais elle n’a plus progressé depuis, précise Benjamin Louvet, gérant matières premières chez OFI AM. Dans les faits, il y a eu beaucoup de forages mais peu de puits ont été remis en activité ». Le shale (pétrole de schiste américain) qui a subi de plein fouet la baisse des cours a connu avec 2015 et 2016 deux années noires. Contrairement aux Saoudiens dont le baril est rentable à partir de 10 dollars, les producteurs de shale ne rentrent dans leur frais que lorsque le baril dépasse les 60 dollars selon les experts. Ainsi, même si l’activité a repris depuis janvier, les gains sont marginaux. Selon Bloomberg, sur les quarante derniers trimestres, une seule compagnie américaine de shale n’a pas perdu d’argent. Dans son dernier rapport, l’agence américaine de l’énergie a d’ailleurs pointé le déficit de productivité des puits de pétrole de schiste.

Un avis partagé par l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles qui publie ce jeudi une note de conjoncture. « Les analyses s’appuient sur trois faits pour étayer cette thèse: le niveau de productivité des puits qui connait un début de tassement, le ralentissement de l’activité de forage depuis juillet 2017, une relative stagnation de la production de pétrole. D’autres considérations sont mises en avant comme la hausse des coûts ou les goulots d’étranglement sur le transport du pétrole ». Seule bonne nouvelle pour les pétroliers américains, la hausse des prix en 2018 et 2019 prévue par l’AIE et l’Opep, devrait leur donner un peu d’air et booster la production.

Six graphiques publiés par l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles

2. Riyad et Moscou respectent à la lettre l’accord de Vienne…

Cette remontée des cours s’explique également par un respect assez strict de l’accord de Vienne où le 30 novembre 2016 les pays membres de l’OPEP et ceux qui en sont extérieurs, comme la Russie, sont parvenus à un accord historique. Les treize membres du cartel et Moscou s’étaient entendus pour réduire leur production de 1,2 million de barils par jour du 1er janvier au 30 juin 2017. Une décision qui a rassuré les marchés et fait remonter le prix du baril. « Il y avait des doutes sur l’Arabie saoudite et la Russie mais ces deux pays respectent leurs engagements », affirme Benjamin Louvet. La stratégie baissière qu’a longtemps défendu Riyad pour contrer l’éclosion du pétrole de schiste aux États-Unis a en effet vécu. Le royaume wahhabite a été fortement affecté par la dégringolade des cours et n’entend donc plus se risquer à voir le baril plonger. C’est d’ailleurs dans ce but que le roi Salman effectue depuis ce jeudi 5 octobre une visite d’État à Moscou – la première jamais effectuée par un souverain saoudien – où il sera reçu en grande pompe par Vladimir Poutine. « La Russie a rempli ses obligations de limiter de 300.000 barils par jour sa production », s’est félicité à ce sujet Vladimir Poutine mercredi.

3. … qui devrait être prolongé

Le roi Salman et le chef du Kremlin vont également discuter de la prolongation de l’accord de Vienne qui coure jusqu’en mars 2018. Interrogé à ce sujet, Vladimir Poutine a répondu mercredi « ne pas exclure » sa prolongation jusqu’à la fin 2018. Un avis partagé par Riyad qui milite depuis plusieurs mois pour cela. « Nous aspirons à poursuivre la coopération positive entre nos pays en vue de stabiliser les marchés pétroliers mondiaux », a assuré de son côté le roi Salmane, lors des pourparlers avec Vladimir Poutine. Au-delà des deux premiers exportateurs d’or noir de la planète, d’autres pays comme l’Algérie ou l’Irak se sont déclarés favorables à la prolongation de cet accord, Bagdad prônant notamment une extension de neuf mois. Le sujet sera dans tous les cas évoqué le 30 novembre, à Vienne, lors de la prochaine réunion semestrielle du cartel pétrolier, même si ses membres devraient observer le marché quelques mois encore avant de se prononcer.

4. Un fort déficit des investissements pétroliers

Les années 2018-2019-2020 sont actuellement scrutées attentivement par les analystes. Comment et par qui seront produits les futurs barils alors que les gisements pétroliers perdent 5% de leur potentiel tous les ans? « C’est une question centrale car les investissements pétroliers sont de plus en plus faibles, répond Benjamin Louvet. Pour maintenir la production à son niveau actuel, les pétroliers doivent investir 630 milliards de dollars par an selon l’AIE. Or en 2015, ils ont investi 450 milliards de dollars, moins de 400 en 2016 et pour 2017 on arrivera à 450 milliards de dollars. La production de pétrole va donc baisser en 2018 et le prix du baril pourrait très facilement remonter autour des 65-70 dollars fin 2018, début 2019 et se diriger vers les 80-90 dollars ensuite ».

Dans sa note de conjoncture publiée ce jeudi, l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles pointe également cette faiblesse. »D’ici 2018 à 2020, le recul des investissements pourrait commencer à peser sur l’accroissement de l’offre. Il deviendra difficile de compenser à la fois la progression de la demande (autour de +1,5 million de baril-jour par an) et le déclin naturel de la production des gisements historiques (de l’ordre de -2,5 millions de baril-jour par an) » observe l’Institut.

5. Un regain de tensions au Moyen-Orient et en Corée du Nord

Autre facteur qui peut conduire à une hausse des prix : les violences constantes – et croissantes – dans certaines régions de la planète, notamment au Moyen-Orient. « Le marché pétrolier est à nouveau confronté à des risques de dérive des prix, liés au contexte géopolitique, estime l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles. Le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien organisé le 25 septembre a été source d’inquiétude, entraînant des hausses de 3 à 5% des prix des différents pétroles en trois jours ». L’escalade verbale entre Donald Trump et la Corée du Nord renforce encore plus ce climat incertain. « Le risque porte pour une grande part sur les perturbations potentielles des approvisionnements vers le Japon (4 millions de barils par jour) et la Corée du Sud (2,7 millions de barils par jour) » observe  l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles.

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