Les déboires de Credit suisse, ébranlé par une série de scandales et dont la valeur en Bourse a été divisée par trois en un an et demi, ravivent le spectre de la première victime d’importance de la crise financière de 2008-2009, la banque américaine Lehman Brothers.
Depuis bientôt trois semaines, le cours de son action enfonce point bas sur point bas alors que des rumeurs fusent à l’approche d’un bilan sur sa stratégie. Considéré comme un spécialiste des restructurations, son nouveau directeur général, Ulrich Körner, s’est vu confier début août la lourde tâche de mener une revue stratégique pour redresser la banque sur laquelle il doit faire le point le 27 octobre.
Mais la semaine passée, les contrats d’échange sur risque de crédit (ou “credit default swaps”) ont bondi. Ces produits dérivés servent aux investisseurs à se protéger contre les risques de non-remboursement d’une dette, leur hausse signifiant que les investisseurs demandent davantage de garanties pour les obligations liées à Credit Suisse.
Un cours à un plancher historique
Lundi, l’action du numéro deux du secteur bancaire helvétique a chuté de près de 11,5% dans les premiers échanges, atteignant un nouveau point bas historique à 3,518 francs suisses après une nouvelle salve de rumeurs pendant le week-end. Le titre a finalement clôturé en baisse d’un peu moins de 1%, à 3,94 CHF.
Sur les réseaux sociaux, les discussions autour d’un “moment Lehman Brothers”, en référence à la banque américaine qui avait fait faillite en 2008 et marqué le déclenchement de la grande crise financière, se sont répandues comme une traînée de poudre, même si de nombreux observateurs dans le monde de la finance écartent ce risque.
Pour le Comité européen du risque systémique (CERS), rattaché à la BCE, la deuxième banque helvète et le système bancaire européen dans son ensemble sont mieux armés qu’à l’époque pour faire face à une crise.
Pourquoi la situation de Credit Suisse inquiète?
En laissant couler Lehman Brothers en 2008, l’administration Bush espérait faire un exemple, sans en avoir mesuré toutes les conséquences. La faillite de l’établissement a ainsi laissé penser aux acteurs du marché que d’autres établissements pouvaient suivre, accentuant les difficultés et nécessitant l’intervention de nombreux Etats. La holding belgo-néerlandaise Fortis a ainsi été démantelée, la filiale belge passant sous le contrôle du français BNP Paribas.
Surtout de nombreux autres établissements, considérés comme “too big to fail” (trop gros pour faire faillite) ont dû être secourus en urgence, au risque d’un effondrement complet du système financier. L’assureur américain IAG ou la banque franco-belge Dexia, qui ne survivra finalement pas à la crise de la dette grecque, ont fait partie des établissements secourus.
Ces sauvetages ont cependant été très coûteux pour les finances publiques et ont amorcé la crise de la dette qui a suivi et débouché sur une cure d’austérité, notamment en Europe.
Des tests pour mesurer la solidité des banques
Sous la pression du régulateur européen, les banques ont fait d’importants efforts cette dernière décennie afin d’être plus solides en cas de crise. Elles doivent par exemple justifier d’un niveau minimal de capital plus important destiné à éponger les éventuelles pertes. Ce ratio de fonds propres durs, aussi appelé CET1, est l’œuvre des travaux du comité de Bâle, en Suisse.
Credit Suisse affichait lors de ses résultats de mi-année, publiés fin juillet, un ratio de solvabilité de 13,5%. A titre de comparaison, il est de 12,2% pour BNP Paribas, 14,93% pour l’italienne Unicredit et 13% pour Deutsche Bank.
Ce ratio de capital qui permet de faire face à des pertes inattendues s’est “fortement renforcé” après la crise de 2008, assure le responsable de l’équipe banque Paris de l’agence de notation Moody’s Alain Laurin, et la manière de le calculer a été amendée dans un sens plus restrictif.
L’Autorité bancaire européenne soumet aussi cinquante grandes banques du continent à des tests de résistance. Les résultats du dernier exercice, publiés fin juillet 2021 montraient que les établissements étaient bien en mesure d’encaisser sans trop de casse une grave crise économique.
Un nouvel effet domino à craindre ?
Les experts contactés par l’AFP se veulent pour l’instant rassurants. Premièrement, Credit suisse “reste un établissement financier solide”, affirme Guillaume Larmaraud, associé en charge des services financiers chez Colombus Consulting.
Ensuite, même en cas de crise, “la solidité financière des banques est extrêmement forte, les leçons de 2008 ont été bien apprises”, estime auprès de l’AFP Vanessa Holtz, responsable pour la France de Bank of America. En cas de défaillance d’un acteur bancaire, le continent européen “dispose désormais d’un cadre” pour le sortir de l’ornière, quelle que soit sa taille, complétait en février la présidente de la banque espagnole Santander Ana Botín, aussi présidente du lobby européen des banques.
Et si, en ultime recours, les gouvernements étaient tentés de sortir le portefeuille pour sauver un établissement, contrairement à la situation d’avant 2008, un cadre prévoit dans un premier temps de faire payer les actionnaires ou les plus gros créanciers. Les banques cotisent également à un fonds européen qui doit éviter de présenter une facture trop lourde aux contribuables.