Les Européens veulent imposer un véto à la Libra, la monnaie numérique de Facebook

La France, l’Italie et l’Allemagne préparent ensemble une série de mesures pour interdire en Europe la future cryptomonnaie de Facebook, a annoncé vendredi Bruno Le Maire, le ministre français de l’Economie, listant les nombreuses menaces que la Libra fait peser sur les Etats.

« Nous prendrons dans les semaines qui viennent notamment avec Olaf Scholz et Roberto Gualtieri, mes homologues allemand et italien, un certain nombre d’initiatives pour marquer clairement que la Libra n’est pas la bienvenue en Europe, parce que c’est notre souveraineté qui est en jeu », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse en marge des réunions du FMI et de la Banque mondiale à Washington.

« Nous n’accepterons pas qu’une entreprise multinationale privée ait la même puissance, la même puissance monétaire que les Etats souverains qui sont soumis au contrôle démocratique; car la grande différence entre Facebook et les Etats, c’est que nous sommes soumis au contrôle démocratique, c’est-à-dire au contrôle du peuple », a-t-il ajouté.

Le G7, le Groupe des sept pays les plus industrialisés (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Italie et Japon), réuni à Washington jeudi, avait déjà convenu que la condition sine qua non pour lancer les cryptomonnaies stables, comme la Libra, était l’instauration d’un cadre juridique.

Mais les Européens semblent vouloir aller plus loin, en interdisant purement et simplement la monnaie de Facebook.

Olaf Scholz a emboîté le pas de son homologue français, soulignant qu’il était « très sceptique » sur la Libra.

« Je suis favorable à ne pas permettre l’instauration d’une telle monnaie mondiale, car c’est la tâche des Etats démocratiques », a-t-il commenté.

Il reconnaît lui aussi qu’il est « nécessaire de réformer » le secteur des banques et des services bancaires pour rendre les paiements internationaux transfrontaliers plus simples, plus rapides et moins chers, « mais en même temps, il est nécessaire de préserver l’autonomie des Etats démocratiques », a-t-il poursuivi.

– « Questions légitimes » –

Le ministre italien des Finances n’était pas immédiatement joignable pour commenter ces informations.

« Je le répète, notre priorité aujourd’hui est de travailler avec les régulateurs pour répondre à leurs questions légitimes et leur donner toutes les garanties nécessaires », a réagi Bertrand Perez, le directeur général de l’Association Libra.

Mais Bruno Le Maire a semblé écarter l’idée de travailler main dans la main avec Facebook.

Il a rappelé l’un des points particulièrement litigieux: le fait que la Libra sera adossée à un panier de devises.

« Il suffira que Facebook décide d’avoir plus d’euros ou plus de dollars pour avoir un impact sur le niveau de change de l’euro ou du dollar et donc un impact direct sur le commerce, l’industrie, les Etats qui ont comme monnaie de référence l’euro ou le dollar ».

Cela affectera l’efficacité des Etats et affaiblira l’indépendance de la politique monétaire, a-t-il souligné.

« Veut-on que la politique monétaire soit aux mains d’une entreprise privée comme Facebook? Ma réponse est clairement non », a-t-il conclu.

Bruno Le Maire a toutefois souligné qu’il n’était pas contre l’établissement d’une monnaie numérique publique, sur laquelle la France est disposée à travailler « dans un cadre européen ».

« La bonne réponse n’est pas une monnaie digitale privée sous la direction d’une des plus grandes multinationales de la planète, qui a 2,4 milliards de clients », a-t-il encore martelé.

L’association Libra avait été officiellement lancée lundi par 21 membres fondateurs à Genève dont PayU, les groupes de télécommunications Vodafone et Iliad, les plateformes Uber et Spotify, des acteurs de la blockchain comme Anchorage ou Coinbase, des fonds de capital risque comme Andreessen Horowitz ou des organisations à but non lucratif comme Kiva.

Pour autant, le projet a été récemment affaibli par la défection de Paypal, Visa, Mastercard ou eBay.

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