Sanofi dégaine sa première usine 100 % digitale, arme de compétitivité

Sanofi entre de plain-pied dans l’industrie 4.0. Enfin ! Dans une big pharma plutôt à la traîne au regard d’autres secteurs (aéronautique, automobile, cosmétique…), le Français a inauguré mardi 15 octobre à Framingham, près de Boston (États-Unis) sa première usine digital born – digitalisée dès sa conception. Et, officiellement, la première unité de bioproduction au monde capable de fabriquer des médicaments biologiques – des produits dont la substance active est issue d’organismes vivants – de manière intensive et en continu.

Un chantier lancé il y a près de six ans. « Je ne peux être crédité ni du projet, ni des efforts et des réflexions qui ont permis sa mise au point, a salué Paul Hudson, le nouveau directeur général, entré en fonction le 2 septembre dernier. Mais il est essentiel que Sanofi crée des ruptures. Avec cette usine digitale, plus productive et plus efficace, fini les 10.000 pages de paperasseries – avec huit signatures par page ! – nécessaires avant qu’un lot de produits ne quitte nos usines. Elle nous permet aussi de repérer plus vite les problèmes, d’introduire des procédés de fabrication normalisés et de nouvelles méthodes pour former les gens. Pour Sanofi, c’est un grand saut vers le futur ! »

Une quête d’efficacité et de productivité que Paul Hudson rêve d’étendre à tout le groupe ? Le nouveau boss, transfuge de Novartis, laboratoire plutôt à la pointe, présentera mi-décembre sa feuille de route pour le laboratoire français, très attendue par les marchés. D’ores et déjà, il laisse entrevoir qu’il compte capitaliser sur ce genre d’acquis et faire du digital un vrai levier de compétitivité et de croissance. « Avant d’arriver dans le groupe, j’avais lu beaucoup de choses. Mais ce que j’ai découvert ici était loin de la réalité : un outil industriel parmi les plus performants au monde. Nous devons le valoriser et surtout le faire savoir. »

Produire plus, plus vite

Depuis cinq ans, Sanofi a investi cinq milliards de dollars pour optimiser et digitaliser son outil industriel, dont 290 millions d’euros pour l’usine flambante neuve de Framingham. « Dans la production de médicaments biologiques, nous voulons être dans le top ten en termes d’innovation comme en termes de productivité », indique Philippe Luscan, le patron des affaires industrielles.

À ce titre, Framingham – site hérité du rachat de la biotech américaine Genzyme en 2011 – fait office de showroom et de laboratoire. Dans cette unité de bioproduction, l’innovation et le digital ont permis de bâtir une usine plus productive, plus efficace, et beaucoup plus verte. « Ce bout de ruban est certainement le seul bout de papier de toute l’usine », a rigolé Paul Hudson, en coupant le ruban de l’inauguration. Le site de quelque 10.000 mètres carrés est entièrement connecté et modulable au gré des productions. Ses travailleurs sont formés par des « jumeaux » digitaux et suivent la production sur tablettes.

La technologie a surtout permis de revoir toute la chaîne. Au lieu des bioréacteurs géants d’usage, pour cultiver les cellules et recueillir les protéines qui serviront à fabriquer les médicaments, Framingham utilise désormais des réacteurs jusqu’à huit fois plus petit, tapissés de poches en plastique à usage unique. A chaque nouveau lot, une nouvelle poche. Exit ainsi les semaines d’arrêt et de nettoyage des cuves des bioréacteurs lors d’un changement de produit, opération très énergivore et consommatrice en eau et produits chimiques. L’usine peut ainsi fabriquer plus, plus vite, tout en consommant moins : « 80 % d’énergie et d’émissions de CO2 en moins ; 91 % d’eau et 94 % de produits chimiques en moins pour une productivité jusqu’à 80 supérieure », égrène Dean Morris, le responsable du projet. Une flexibilité et une empreinte écologique inédites dans cette industrie. Quant aux déchets plastique, issus des fameuses poches à usage unique, ils sont réutilisés pour produire de l’énergie. « Nos équipes réfléchissent aussi à les utiliser pour d’autres applications industrielles. »

Small is beautiful.

« Dans les biotechnologies, la règle a toujours été Big is beautiful, dit Paul Logue, en charge du digital pour les affaires industrielles du groupe. Nous, nous avons décidé du contraire ». Framingham est dédié pour l’heure à la médecine de spécialités (immunologie, oncologie, hématologie…), axe de développement majeur du groupe – 80 % du pipeline de Sanofi -, aux côté des vaccins. Avant de démarrer, l’usine doit encore recevoir le feu vert de la FDA américaine, annoncé pour fin 2020.

Après Framingham, Sanofi compte étendre sa mue digitale à d’autres sites : Toronto (Canada), Suzano (Brésil), Waterford (Irlande), Geel (Belgique), ou encore Sisteron en France. Dans la bioproduction, ses deux autres hubs mondiaux, Francfort (Allemagne) et Vitry en France, ont aussi profité d’importants investissements (190 millions et 260 millions d’euros respectivement). « Pour cette première usine digitale, nous avons choisi Framingham en raison, bien sûr, de l’écosystème bostonien, si propice aux biotechnologies, mais aussi parce que le site avait déjà lancé plusieurs essais pour optimiser l’outil industriel. » Nul doute que les anciens sites et équipes de Genzyme sont particulièrement sensibles au sujet : il y a dix ans, ce sont justement des problèmes de production et de contamination qui avaient affaibli la biotech américaine, son cours de Bourse… et favorisé le lancement d’un raid hostile par Sanofi.

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