L'Europe paie cher sa dépendance pharmaceutique

Avant même la reprise de l’épidémie de Covid, la question de l’approvisionnement trop lent de vaccins était une patate chaude en Europe. Du coup, l’hypothèse de bloquer les exportations semblait une solution évidente. Jusqu’alors, les pays de l’Union européenne (UE) ont reçu 70 millions de doses des usines pharmaceutiques installées sur le continent, tandis que 42 millions ont été exportées vers 33 pays. Mais pratiquement rien n’a pu être importé. D’où la question de retenir les livraisons vers des pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui de leur côté ont bloqué toute vente de vaccins hors de leurs frontières.

Depuis le mois de janvier, il faut donc une autorisation pour exporter des vaccins en dehors de l’Union, ce qui provoque de la paperasserie et des retards de livraison. L’Italie a bloqué 250 000 doses d’Astra Zeneca vers l’Australie, et les Pays-Bas menacent de faire de même avec la Grande-Bretagne. Et si les disputes de chaque côté du channel ont polarisé l’attention, les relations ne sont pas meilleures avec les Etats-Unis, qui ne laissent rien sortir du pays. L’Amérique a notamment imposé un contrôle des exportations sur des éléments constitutifs de la fabrication de vaccins : une usine Merck, en Allemagne, se trouve par exemple à cours de sachets très

particuliers pour confectionner des doses. Autre signe de mauvaise humeur, des stocks d’AstraZeneca ont été ostensiblement envoyés au Canada et au Mexique plutôt que vers l’Europe…

Si l’Union voulait se montrer plus ferme avec les Etats-Unis, ce ne serait pas sans conséquence. C’est pour cela que la chancelière Angela Merkel a lancé le 23 mars un avertissement : l’Europe doit se montrer « très prudente » avant de décider d’interdire des exportations. En rétorsion, la Grande-Bretagne a par exemple la possibilité de stopper la production du vaccin Pfizer-BioNTech sur le continent en retenant la livraison d’une matière première indispensable à sa production et livrée à partir d’une usine du Yorkshire.

Déployer des interdictions d’exportations pourrait également nuire à la réputation de l’UE. Celle-ci a largement bénéficié de la vague mondiale d’investissements dans de nouvelles unités de vaccins l’an dernier, à partir de l’idée qu’elle était un endroit sûr pour produire pour toute la planète. Conséquence de cette menace de Bruxelles, la Grande-Bretagne a envoyé des émissaires en Inde pour sécuriser des doses supplémentaires en provenance du Serum Institute of India.

En rétorsion, la Grande-Bretagne peut stopper la production du vaccin Pfizer sur le continent.

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait promis l’année dernière de conserver une unité mondiale pour lutter contre la pandémie. La réalité est aujourd’hui plus pressante. Beaucoup d’Européens regardent avec envie des taux de vaccinations bien plus élevés en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou en Israël, et ne comprennent pas que des vaccins soient exportés dans des pays comme l’Australie qui ne font pas face à une recrudescence du virus. Résister à la tentation de bloquer des lots alors que l’opinion fait monter la pression pourrait se révéler difficile.

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