Libéralisation des aéroports: ADP et Vinci accélèrent

Ces derniers temps, Xavier Huillard, le PDG de Vinci, est souvent prié de quitter la pièce lors des réunions du conseil d’administration d’ADP, comme l’exigent les règles en cas de conflit d’intérêts entre actionnaires. Détenteur de 8 % du capital du gestionnaire de Roissy et d’Orly, le géant du BTP est devenu un redoutable rival du groupe public via sa filiale Vinci Airports. Fin 2018, la prise de contrôle pour 3,2 milliards d’euros du second aéroport londonien, Gatwick, l’a propulsé au troisième rang du secteur, juste derrière ADP. De quoi titiller l’ego de son patron, Augustin de Romanet.

Besoins financiers accrus

Loin d’être refroidi par la pétition contre la privatisation de son groupe, qui a recueilli 1 million de signatures, l’ancien patron de la Caisse des dépôts s’est fixé comme ambition de réaliser de 35 % à 40 % du résultat opérationnel hors de France d’ici à 2025 (contre 21 % en 2018) grâce à l’acquisition d’une dizaine d’aéroports hors de France. Mi-décembre, une nouvelle organisation a été annoncée dans ce sens, avec la création d’une direction du développement et le renforcement de la direction des opérations.

Il faut dire que la croissance du trafic aérien mondial de 4,5 % par an en moyenne fait rêver. Encore majoritairement sous administration publique, les aéroports commencent à ouvrir leur capital face aux énormes besoins financiers et de savoir-faire technique et commercial que les Etats ne peuvent plus assumer. Ainsi, une soixantaine de cibles ont été identifiées dans les quatre prochaines années, notamment aux Etats-Unis, au Brésil et au Japon.

Dans cette course,  » ADP a l’avantage d’être un pure player mondialement connu grâce à Charles-de-Gaulle, explique Stéphane Albernhne, président du cabinet Archery Strategy Consulting. Mais son désir de conquête est peut-être freiné par son actionnaire étatique, dont la priorité reste la France et l’amélioration de la qualité de service.  » A l’inverse,  » Vinci Airports, plus petit et agile, peut se permettre d’être plus agressif car il bénéficie de la surface financière de sa maison mère pour remplir un objectif commun : trouver un relais de croissance aux concessions autoroutières françaises (5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) qui s’achèvent en 2032 « .

En 2013, le groupe privé avait choisi de se délester d’une partie de sa division parkings pour prendre le contrôle de l’opérateur portugais ANA. Cette opération de 3 milliards d’euros marquait un réel tournant dans sa stratégie.  » Nous ne visons pas forcément les plus gros contrats, confie Nicolas Notebaert, directeur de Vinci Concessions. Grâce à son réseau, l’entreprise apporte une plus-value avec une connaissance fine des passagers et du marché local. « 

Partage de compétences

Pour ADP, le coup d’accélérateur remonte à la même période, en 2012, quand l’entreprise entre au capital du groupe turc TAV Airports, qui assure le trafic de 152 millions de passagers. Non seulement l’intégration des résultats de cette quasi-filiale (46 % du capital) a considérablement boosté le bilan financier de l’entreprise à l’international,  » mais c’est aussi une réussite industrielle en termes de partage de compétences et de synergies, relève le directeur général exécutif, Edward Arkwright. Nous gérons ensemble l’aéroport de Zagreb, en Croatie. Et nous finalisons le rachat de l’aéroport d’Almaty au Kazakhstan grâce au réseau russophone des Turcs.  » Fin décembre, après six ans de négociation, l’Etat turc a aussi accepté de dédommager TAV à hauteur de 389 millions d’euros pour compenser la fermeture de l’aéroport Atatürk à Istanbul après l’ouverture d’une nouvelle infrastructure.

Comme Vinci, ADP cherche à avoir le contrôle de ses plateformes hors de France.  » En dix ans, notre business model a largement évolué, reconnaît Fernando Echegaray, le directeur général adjoint des opérations. D’une position d’actionnaire minoritaire (comme à l’aéroport de Schiphol), nous nous positionnons désormais comme opérateur majoritaire, même si nous répondons souvent à des appels d’offres via des consortiums.  » Exemple : l’aéroport Reine-Alia d’Amman en Jordanie aux mains du concessionnaire AIG, dont ADP est actionnaire depuis 2007. En une décennie, le trafic a progressé de 6,5 % par an et la capacité de l’aéroport, portée à 12 millions de passagers, pourrait être doublée grâce à une nouvelle extension.  » Cela illustre notre savoir-faire pour attirer davantage de trafic aérien, développer les commerces dans les aérogares et, in fine, créer des emplois locaux « , poursuit le directeur.

Mais les bons projets ne se transforment pas toujours en tickets gagnants. Finaliste pour la modernisation de l’aéroport LaGuardia, à New York, le français a perdu face au canadien Vantage Airport Group, associé au groupe de BTP suédois Skanska. Idem au Japon, où ADP vise l’aéroport de Sapporo dans l’île de Hokkaido mais dont la privatisation a été retardée.  » Ce qui est plutôt une bonne nouvelle « , glisse un membre du conseil d’administration, soucieux de ne pas aller trop loin, trop vite.

Rêve d’alliance

Pourquoi alors ne pas allier davantage la puissance de feu de Vinci et l’expertise d’ADP ? Les défenseurs d’un champion français à l’international en rêvent. D’autant que l’exemple de leur concession commune à Santiago du Chili est un bel exemple de  » coopétition « , ce mélange de compétition et coopération vanté par les dirigeants lors de leur alliance en 2015 (45 % ADP, 40 % Vinci, 15 % l’italien Astaldi). Depuis, le duo prend soin d’alterner les postes opérationnels au sein de la direction de l’aéroport, où le trafic s’est accru de 51 %, grâce à l’arrivée de six nouvelles compagnies et l’ouverture de lignes.

Une fusion d’ADP et Vinci Airports en ferait, de très loin, le premier groupe aéroportuaire mondial, devant l’actuel géant espagnol Aena. C’est le rêve de Xavier Huillard en cas de privatisation du groupe public. Un projet au point mort.

Eiffage atterrit dans le secteur aéroportuaire

Bientôt un second concurrent tricolore face à ADP ? Le rachat par Eiffage des parts détenues par le chinois Casil à Toulouse-Blagnac peut le laisser penser. Le numéro trois du BTP a versé 500 millions d’euros le 30 décembre pour 49,9 % du capital de l’aéroport du sud-ouest. Après la polémique de cette privatisation en 2015, le groupe chinois avait annoncé l’an dernier son intention de se désengager, l’Etat français ayant décidé de conserver 10 % aux côtés des collectivités locales. A l’époque, Vinci s’était porté candidat mais pas ADP, jugeant le prix trop élevé. Pour Eiffage, ce joli coup conforte la stratégie de diversification dans un secteur où le groupe a aussi raflé le petit aéroport de Lille-Lesquin aux 2 millions de passagers annuels.

SOURCE : SOCIÉTÉS (CHIFFRES 2018)Le pure player ADP et le champion des concessions Vinci peuvent se disputer une soixantaine d’opérateurs potentiellement à vendre dans les quatre ans.

Photos : Chris Pancewicz / Alamy Stock Photo / Hemis.frAéroport de Santiago, au Chili. Depuis 2015, ADP et Vinci se partagent avec succès la concession de l’aéroport chilien : le trafic s’est accru de 51 % avec l’arrivée de six nouvelles compagnies et l’ouverture de lignes.

Peter D Noyce / Alamy Stock Photo / Hemis.frAéroport de Gatewick, en Grande-Bretagne. Fin 2018, la prise de contrôle pour 3,2 milliards d’euros du second aéroport londonien a propulsé Vinci Airports au troisième rang du secteur.

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