L’incroyable traque d’un moteur d’A380 au Groenland

Mission accomplie ! Près de deux ans après l’explosion en vol d’un réacteur d’un A380 d’Air France au-dessus du Groenland, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) a enfin mis la main sur la pièce de réacteur qu’il cherchait pour avancer son enquête : le « fan hub », ou moyeu de soufflante. Cette pièce en titane de 150 kilos, qui avait été projetée du moteur de l’avion à 11.300 mètres d’altitude, a été retrouvée sous quatre mètres de neige et de glace, au milieu d’une crevasse. Elle va être envoyée aux Etats-Unis, et examinée par le motoriste Engine Alliance, coentreprise entre GE et Pratt & Whitney, sous la supervision du BEA. L’accident, très spectaculaire et dont les causes n’ont toujours pas été précisément établies, n’avait heureusement pas fait de victime. L’A380 d’Air France, qui reliait Paris à Los Angeles, avait été dérouté vers l’aéroport militaire de Goose Bay (est du Canada), où il était resté immobilisé de longues semaines.

Retrouver la fameuse pièce s’est révélé un sacré tour de force technologique. Une première campagne de recherche par hélicoptère avait permis de retrouver quelques éléments légers du moteur. Mais les plus lourds, dont le fameux « fan hub », s’étaient enfoncés dans la glace et avaient été recouverts de neige. En mai 2018, le BEA, Airbus et Engine Alliance demandent de l’aide à l’Onera, le laboratoire de recherche aérospatiale français. Celui-ci dispose d’un équipement redoutable : un radar expérimental, baptisé SETHI (Système Expérimental de Télédétection Hyperfréquence Imageur), développé en interne. Cet outil, qui consiste en deux pods de 300 kilos embarqués sous les ailes d’un Falcon 20 de la société Avdef (filiale d’Airbus), est un véritable couteau suisse : il permet de bénéficier d’une imagerie radar à longue distance (plus de 70 km), de détecter des cibles mobiles, mais aussi de fournir des images en pénétrant sous le sol et sous le feuillage des arbres.

Trois tonnes d’équipements

C’est cette dernière capacité qui convainc les enquêteurs d’utiliser le fameux radar. En trois mois, la logistique est mise en place. En avril 2018, onze caisses d’un poids total de 2,8 tonnes sont déployées sur l’aéroport de Kangerlussuaq, à l’ouest du Groenland, qui servira de base opérationnelle pour le SETHI. L’Onera dépêche huit scientifiques, qui mettent en œuvre le radar durant un mois sur une zone de 60 km2. En huit vols, le sous-sol glacier de la zone survolée est cartographié, jusqu’à plus de 45 mètres sous la surface de la calotte glacière, grâce à des radars sur différentes bandes de fréquence (V/UHF, L et X).

Reste à traiter ces données. Des outils d’analyse avancés sont développés par l’Onera pour identifier la cible dans le sous-sol glacier. Pour minimiser l’effet du bruit de fond produit par la neige, un algorithme est développé pour fusionner 432 images radars différentes de 25 cm de résolution (représentant plus de 5 To de données) en une seule image. En février 2019, après dix mois d’efforts, l’équipe Onera touche au but. Elle met en évidence trois points de localisation possibles du fan hub : deux signaux faibles et un signal fort. Les enquêteurs, appuyés par le Geological Survey du Danemark et Groenland (GEUS), commencent par les deux premiers, qui présentent l’avantage d’être plus facilement accessibles. Mais c’est bien le signal le plus fort qui se révèle le bon : le fan hub est retrouvé sous quatre mètres de neige, grâce à l’aide d’un robot baptisé FrostyBoy.

Un Antonov à la rescousse

L’analyse de la pièce devrait permettre d’en savoir plus sur l’accident du 30 septembre 2017. L’A380 d’Air France, numéro de série MSN52, était resté deux long mois sur le tarmac de l’aéroport militaire de Goose Bay après l’accident. Pour permettre à l’appareil de redécoller, il fallait trouver un moteur qui puisse remplacer le réacteur endommagé. Un des scénarios envisageait de récupérer un moteur sur l’A380 stationné au musée de l’air et de l’espace du Bourget. Non connecté, il aurait juste permis de préserver le centrage de l’appareil. Finalement, un gros porteur ukrainien Antonov An-124 a apporté un moteur neuf, qui a permis à l’appareil de redécoller vers Paris fin 2017.

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