Analyse et Stratégie : La Bourse déconnectée des réalités économiques, la mise en garde de l’AMF contre une correction « brutale »

A celui-là, son cadre est peinturluré rouge vif. Cartographie 2019 des risques sur les marchés financiers de l’AMF, dernière page, tableau de synthèse, tout en haut de la liste, la correction « brutale » des actifs est identifiée comme le plus gros des dangers qui guettent la Bourse. Hier, le régulateur français a prévenu des mauvaises conséquences qu’aurait un « relèvement des primes de risque. »

La dernière édition de la cartographie des risques de l'AMF

La dernière édition de la cartographie des risques de l'AMF

La dernière édition de la cartographie des risques de l’AMF | Crédits photo : AMF

 

Ces primes de risque sont actuellement « faibles. » Ce qui veut dire ? Que c’est à peine si, par rapport à ce que rapporte un actif sans risque, les investisseurs réclament davantage d’argent pour prendre plus de risques. Aujourd’hui, prêter à cinq ans à un pays en difficultés comme l’Italie, dirigé par des populistes adeptes de « l’économie vaudou » (dépenser plus avec moins d’impôts), rapporte tout juste plus (0,9%) qu’un placement sur un Livret A (0,75%). Une aberration de plus dans un monde où emprunter de l’argent – pour des émetteurs de dette fiables comme l’Allemagne ou Nestlé – peut rapporter gros.

La vie en « La-La-Land »

Quand les taux d’intérêt ne sont pas négatifs, ils sont à 0% ou, pour les plus élevés, pas beaucoup plus haut. Les investisseurs, partis à la chasse au rendement, pas très gourmands, prêts à tout accepter pourvu que cela rapporte un peu, prennent de plus en plus de risques pour gagner de l’argent. Sans même forcément s’en rendre compte. Dans un monde qui tourne rond, plus l’investissement est périlleux, plus il rapporte. Il est dans leur ADN de jauger du danger d’un investissement à l’aune de son taux de rendement. Le baromètre du risque est cassé. A croire que plus rien de mal ne peut arriver.

Jusque-là, sur fond notamment de guerre commerciale, « l’environnement de marché moins porteur que l’an dernier », comme qualifié par Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF, n’a pas provoqué de relèvement des primes de risque. La « moindre croissance » de l’économie mondiale, qui rend moins soutenable la dette, n’a pas empêché les records à Wall Street, à Londres ou, dans une certaine mesure, à Paris, où le Cac 40 dividendes réinvestis atteint de nouveaux sommets aujourd’hui. « On pourrait s’attendre à une moindre valorisation sur les marchés financiers », en a déduit Stéphane Gallon, chef économiste de l’AMF. Y a-t-il une décorrélation entre la Bourse et l’économie réelle ? « De facto, oui. » C’est à ce point que, aux Etats-Unis, les entreprises sont très nombreuses à prévenir que leurs performances financières du deuxième trimestre seront bien inférieures à ce qu’attendent les analystes. Sur la centaine qui, à moins de deux semaines du début de la saison des publications des comptes, a dévoilé des premiers indicateurs, près de 80% d’entre elles ont lancé un avertissement en ce sens, selon la société de données financières FactSet. Mais, « les anticipations de politique monétaire soutiennent les marchés, explique M. Gallon. La BCE a fait des annonces en ce sens. »

La Fed a forcément tort

Les boursiers se raccrochent tellement à l’espoir que les grandes banques centrales de la planète vont rapidement abaisser les taux d’intérêt que même quand elles préviennent qu’elles ne sont pas pressées de le faire, ils continuent d’y croire. A la mi-juin, la Réserve fédérale des Etats-Unis a fait savoir que la plupart de ses membres ne se voyaient pas encore voter en faveur d’un relâchement du taux directeur cette année, sans que les investisseurs ne revoient leurs anticipations de trois baisses. « Il y a beaucoup de dispersion dans les anticipations », nous fait toutefois remarquer Stéphane Gallon. Si les investisseurs des marchés actions s’en tiennent à leur scénario sans ciller, « il y a beaucoup de volatilité sur les obligations. »

« Les risques liés aux taux bas restent majeurs », avertit Benoît de Juvigny. Non seulement, les investisseurs jouent les casse-cous dans leur recherche de rendement, mais en plus les banques ne sont pas incitées à prêter pour financer l’économie. Une nouvelle crise de la dette est « la seconde source de vulnérabilité [pour les marchés financiers] avec la progression de certaines formes [d’endettement] (finance à effet de levier) qui reposent sur des sous-jacents de moindre qualité », lit-on dans le rapport complet de l’AMF. Les marchés de dette les plus risqués, en « développement fort », atteindrait 3.000 milliards de dollars « si on y inclut les obligations à rendement élevé, prêt à effet de levier (consentis aux entreprises déjà très fortement endettées ou détenus par des fonds de private equity), éventuellement titrisés sous forme de Collaterized Loan Obligations (CLOs). Les investisseurs sont exposés par ces produits à des pertes importantes en cas de défaut des emprunteurs. »

 


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