Macron et les fonctionnaires: « une première chez les socialistes »

Avez-vous été surpris par les propos du ministre de l’Economie Emmanuel Macron sur le statut de la fonction publique qui ne serait « plus adéquat » ?

A ma connaissance, c’est la première fois depuis 1946 qu’un ministre socialiste remet en cause le statut de la fonction publique. Au début des années 1990, Michel Rocard et la « deuxième gauche » avait lancé une grande réorganisation des administrations, baptisée « Renouveau du service public », mais il n’était pas question de toucher au statut. Cette déclaration à quelques mois des élections régionales tombe au plus mal. Elle risque de braquer les fonctionnaires, qui demeurent le noyau dur de l’électorat socialiste, et de plomber les maigres espoirs d’alliances entre le PS, EELV et les communistes. Sans compter qu’elle pourrait ruiner la négociation en cours sur les salaires entre le gouvernement et les syndicats de fonctionnaires…

Sur le fond, le statut n’est-il pas un frein aux réformes en France ?

Beaucoup de métiers de la fonction publique présentent des particularités qui justifient un statut à part : policiers, pompiers, contrôleurs des impôts, etc. En tant qu’inspecteur des Finances, Emmanuel Macron profite lui-même de ce statut. La garantie de l’emploi vise à protéger les fonctionnaires contre l’arbitraire des politiques et la corruption. Ce ne sont pas des dangers virtuels. Dans l’entre-deux-guerres, quantité de postes de fonctionnaires étaient attribuées sur recommandation des politiques et des instituteurs se faisaient limoger sur un coup de menton du préfet. En Espagne, en Italie ou en Grèce, les problèmes de corruption de fonctionnaires sont endémiques. Le statut de la fonction publique, c’est aussi une protection pour les citoyens pour l’égalité d’accès aux services publics.

Beaucoup de pays ont néanmoins fait passer une majorité de leurs fonctionnaires sous contrat privé…

C’est une tendance qui s’observe en effet dans plusieurs pays ces dernières années, mais la plupart du temps les agents publics continuent de bénéficier d’une quasi sécurité de l’emploi. En Suède, une agence spécifique est chargée de retrouver un job aux agents contractuels qui perdent leur poste, tandis que la convention collective italienne dans le public est ultra-protectrice. En France, le passage de centaines de milliers de fonctionnaires sous contrat privé représenterait aussi un coût budgétaire non négligeable. Nombre de fonctionnaires acceptent des rémunérations inférieures à celles du privé précisément parce qu’ils bénéficient de la garantie de l’emploi. Et, malgré cela, l’Etat a déjà toutes les peines du monde à attirer des techniciens qualifiés dans certaines spécialités.

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