Niches fiscales des entreprises: comment faire le ménage?

La fin de l’idylle entre le gouvernement et les patrons ? Depuis qu’Emmanuel Macron a annoncé qu’une partie de la baisse de 5 milliards de l’impôt sur le revenu serait financée par une réduction des niches fiscales aux entreprises, le patronat voit rouge. « Ces niches, elles ont une raison, a immédiatement réagi Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, c’est le très haut niveau des impôts sur les entreprises. » Et de marteler que la politique pro-business démarrée sous François Hollande donne des résultats : quelque 800.000 emplois créés en cinq ans.

Le duo de Bercy, qui prépare les arbitrages pour juin, dément tout changement de cap. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, assure qu’il veut continuer à diminuer « les impôts de production plus élevés en France que chez nos voisins ». Quant à son acolyte des Comptes publics, Gérald Darmanin, il chiffre le coup de rabot à « quelques centaines de millions d’euros » seulement sur un total de 40 milliards. Mais les députés LREM poussent pour aller plus loin. La porte-parole du groupe majoritaire, Olivia Grégoire, fixe même l’objectif à 1,5 milliard. « On taxe beaucoup les entreprises mais on leur redonne beaucoup sous forme d’allègements et de niches, observe Philippe Martin, le patron du Conseil d’analyse économique, placé auprès de Matignon. Il serait plus cohérent de réduire les impôts et de faire un nettoyage des allègements. » Radiographie des principales niches qui méritent d’être « nettoyées ».

• Le CICE et le Crédit d’impôt recherche, des niches intouchables

Pas touche aux deux plus grosses niches fiscales dont bénéficient les entreprises. Après le discours d’Emmanuel Macron, le Premier ministre Edouard Philippe a vite rassuré les patrons. « Il y a deux dispositifs qui ne rentreront pas en ligne de compte, a-t-il précisé le 29 avril, c’est le crédit d’impôt recherche (CIR) car il est considéré comme un instrument essentiel au développement de la compétitivité française, et ce qu’on appelait le crédit impôt compétitivité-emploi (CICE) et qui est désormais un allègement de charges. » Dans la liste des niches fiscales que publie le ministère des Finances chaque année, ces deux mesures décrochent la palme des plus coûteuses : le CICE devrait représenter une perte pour l’Etat de 19 milliards de recettes en 2019 et le CIR de 6,2 milliards !

Plébiscité par les milieux industriels, le crédit d’impôt recherche laisse les économistes plus perplexes. Lancée en 1983 et largement élargie en 2008, cette niche est désormais la première aide publique à l’innovation des entreprises, soit près de 60 % du budget total. Quelque 26.000 entreprises y ont recours, contre moins de 6.000 en 2003. « Les études concluent à un effet globalement positif, souligne un récent rapport de France Stratégie tout en relevant un impact encore peu perceptible en matière d’innovation et d’activité économique ». En moyenne, un euro de CIR supplémentaire aboutit à un euro de dépense supplémentaire des entreprises en recherche et développement (R&D), ont calculé les économistes. Soit un ratio équivalent à la moyenne des dispositifs similaires dans les pays de l’OCDE. Les chercheurs de l’Institut des politiques publiques pointent le peu d’emplois créés dans la R&D et de brevets déposés au regard des milliards dépensés depuis 2008.

Les évaluations du CICE sont aussi mitigées. « Les effets sont positifs sur les marges des entreprises, note l’économiste Antoine Bozio, mais modestes sur l’emploi et quasi nuls sur l’investissement. » D’après l’OFCE, le CICE a créé ou sauvegardé entre 110.000 et 300.000 emplois au cours de ses trois premières années d’existence pour un coût de quelque 50 milliards d’euros. La complexité du dispositif – une réduction de l’impôt sur les sociétés équivalent à 6 % des salaires inférieurs à 2,5 Smic – et son caractère rétroactif expliquent en partie la faiblesse des résultats. Sa transformation en allègement de cotisations sociales pur et simple en 2019 devrait améliorer son impact sur les créations d’emplois.

Autre critique : le plafond fixé à 2,5 Smic est trop élevé. En janvier, le Conseil d’analyse économique a montré que les baisses de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 1,6 smic étaient peu efficaces tant pour l’emploi que pour soutenir les entreprises exportatrices. Les députés LREM, Sacha Houlié et Pierre Person, comptent s’appuyer sur cette étude pour remettre en cause les allègements de cotisations au-dessus de ce seuil. A la clé, un gain de 4 à 12 milliards d’euros. Mais Matignon y est opposé et Bercy rappelle que la France est largement en tête des grands pays européens s’agissant des cotisations patronales au-delà de 2 smic. La bataille ne fait que commencer.

• Le casse-tête des taux réduits de TVA dans la restauration et le bâtiment

C’est l’une des niches fiscales les plus décriées par les économistes : le taux réduit de TVA sur la restauration, fixé à 5,5 % par Nicolas Sarkozy en 2009, puis remonté par François Hollande à 10 % en 2014, coûte 2,9 milliards. Il y a moins d’un an, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire invitait les députés à se pencher sur son efficacité. Aujourd’hui, il assure aux Echos que le gouvernement ne touchera pas à la TVA restauration « car in fine, c’est une taxe sur les ménages ». Une affirmation contestable.

Une étude de l’Institut des politiques publiques, publiée en 2018, montre que les prix ont diminué d’à peine 1,9 % trente mois après la baisse de TVA tandis que les restaurateurs ont vu leurs bénéfices grimper de 24 %, empochant plus de la moitié du gain. A l’inverse, il est vrai que lorsque le taux a été remonté, cela a été largement répercuté sur la facture des clients. Par ailleurs, les économistes n’ont pas constaté que les restaurateurs avaient embauché à tour de bras. Les estimations disponibles chiffrent les emplois créés entre 6.000 et 9.000, soit un coût moyen de 175.000 à 262.000 euros par poste !

Le taux réduit sur la restauration illustre bien les difficultés à caractériser les niches qui sont censées profiter aux ménages mais dont les entreprises peuvent accaparer une large part. C’est aussi le cas du taux réduit sur la rénovation des logements, pour lequel le gouvernement n’a pas encore précisé ses intentions. Comme la restauration, ces dépenses sont désormais taxées à 10 %, contre 5,5 % avant 2012. La perte de recettes est estimée à 3,2 milliards par rapport au taux standard. Un montant auquel il faut ajouter le coût du taux réduit sur les travaux d’amélioration énergétique, resté à 5,5 %, pour 1,1 milliard.

Là encore, l’Etat justifie l’existence de cette niche par sa volonté de soutenir l’activité dans le bâtiment et de lutter contre le travail au noir. « Mais aucune étude sérieuse n’a pu être présentée pour justifier que cette mesure coûteuse atteindrait cet objectif », rappelle la Cour des comptes, dans un rapport publié en mars. L’Inspection des finances avait évalué, en 2011, le nombre d’emplois créés à seulement 32.000 dont 14.000 dans le bâtiment. Dans un document budgétaire, Bercy estime que le coût moyen par poste se situerait entre 40.000 et… 170.000 euros ! « L’efficacité de cette dépense fiscale pourrait utilement être comparée à d’autres mesures plus pérennes en faveur de l’emploi », notent perfidement les magistrats.

Outre la restauration et le logement, de nombreux secteurs bénéficient aussi de taux réduits de TVA : le cinéma, le livre, le thermalisme, le spectacle vivant, l’hôtellerie, etc… « Jouer sur la TVA pour aider des secteurs est une mauvaise idée, les taux réduits sont souvent mal ciblés et inefficaces, critique François Ecalle, spécialiste des finances publiques. La TVA sert à financer des services publics, pas à faire de la politique économique. Dans un monde idéal, il ne devrait y avoir qu’un taux. »

• Gazole, mécénat…Des niches sectorielles dans le viseur

Le sujet sensible de la taxation du gazole fait son retour dans le débat public. A l’automne, le gouvernement avait voulu supprimer le taux réduit d’imposition sur le gazole non routier, utilisé par les entreprises de BTP pour leurs engins de chantier. La mesure permettait de dégager un milliard d’économies tout en sanctionnant l’utilisation de produits polluants. Mais elle a suscité une bronca des entrepreneurs du bâtiment, qui se sont joints à la mobilisation des gilets jaunes, forçant le gouvernement à décréter un gel de six mois. L’exécutif envisage aujourd’hui de remettre la mesure sur le tapis, cette fois en l’étalant sur plusieurs années. Dans un rapport sur la fiscalité verte, paru à l’été 2018, la cheffe de file des députés LREM à la Commission des finances, Bénédicte Peyrol, estimait nécessaire de prévoir aussi des mesures de compensation.

Son collègue de la majorité, Joël Giraud, rapporteur du budget, pourrait, lui, remonter au créneau au sujet des crédits d’impôt en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle. Il avait, en effet, échoué à faire passer des amendements visant à limiter ces dispositifs dont le coût a explosé pour atteindre près de 300 millions. Il voulait notamment plafonner certaines dépenses éligibles, comme les frais de bouches et de déplacements des acteurs. « Il est hors de question de présenter des factures de luxe au contribuable, peste Giraud. Je veux bien tout entendre sur l’évolution du cinéma international mais on ne peut plus continuer à courir après les moins disant fiscaux. »

Autre niche à coloration culturelle dans le viseur des députés et de Bercy : le mécénat fiscal, qui permet aux entreprises de déduire de leur impôt sur les sociétés, 60 % des dons à une fondation (dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires). Le coût de la mesure, qui bénéficie désormais à 69.000 sociétés, a été multiplié par dix en dix ans pour atteindre 900 millions. Dans un rapport récent, la Cour des comptes épinglait LVMH pour avoir économisé 518 millions en construisant son « musée » d’art contemporain dans le bois de Boulogne. Les magistrats suggèrent d’abaisser le plafond ou de réduire le taux de déduction pour enrayer cette dérive. 

Enfin, les directions de Trésor et du Budget militent aussi pour supprimer l’exonération d’impôt sur les sociétés, bénéficiant aux organismes HLM, qui coûte 1,2 milliard. Cette niche est censée encourager les bailleurs à réinvestir leurs profits dans le développement et l’amélioration du parc social. Mais la Cour a constaté que « les bénéfices annuels réalisés par ces entreprises n’étaient pas forcément réinvestis et que cette exonération était de nature à favoriser les organismes construisant peu ou ayant un parc occupé par des ménages plus aisés. » Il est toutefois peu probable que le gouvernement revienne rapidement sur cet avantage. En effet, il avait déjà l’intention de ponctionner les bailleurs sociaux de 1,5 milliard d’ici 2022. Un effort qu’il vient de revoir à la baisse autour du milliard, sous la pression du secteur. 

Par David Bensoussan et Laurent Fargues

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