Paiements et retours : l’IA ouvre un nouveau front de fraude

Les plateformes de commerce électronique, en Chine comme ailleurs, reposent sur des procédures de remboursement largement automatisées afin de maintenir des volumes de transactions élevés et une expérience client fluide. Parmi ces mécanismes, la transmission de preuves visuelles par les acheteurs occupe une place centrale. Une photographie censée attester d’un produit endommagé ou non conforme suffit, dans de nombreux cas, à déclencher un remboursement sans retour physique de la marchandise. L’essor rapide des outils d’intelligence artificielle générative remet aujourd’hui en question la fiabilité de ce modèle.

Depuis plusieurs mois, des vendeurs et agents du service client chinois signalent une multiplication de demandes de remboursement appuyées par des images ou des vidéos dont l’authenticité apparaît douteuse. Sur RedNote, une application sociale largement utilisée par les acteurs du commerce en ligne, des professionnels décrivent des clichés présentant des incohérences visuelles manifestes. Certains montrent, par exemple, des articles textiles prétendument réduits en lambeaux, accompagnés d’étiquettes de transport comportant des caractères illisibles. D’autres illustrent des objets en céramique fissurés selon des motifs rappelant davantage du papier déchiré que des fractures matérielles plausibles.

Les catégories de produits les plus fréquemment concernées par ces signalements correspondent à des segments déjà considérés comme sensibles par les plateformes. Les denrées fraîches, les cosmétiques à faible valeur unitaire et les objets fragiles figurent en tête de liste. Pour ces biens, le coût logistique d’un retour dépasse souvent la valeur marchande, ce qui conduit les vendeurs à privilégier un remboursement immédiat. Cette configuration réduit le niveau de contrôle ex post et accroît l’exposition aux abus.

Un cas largement relayé sur les réseaux sociaux chinois illustre cette évolution. Une commerçante spécialisée dans la vente de crabes vivants via Douyin a reçu, en novembre, des vidéos laissant entendre que la majorité des crustacés livrés étaient morts à l’arrivée. Les séquences montraient même des doigts humains manipulant les animaux inertes. L’analyse attentive des images a toutefois révélé des anomalies biologiques, notamment des variations incohérentes dans le nombre et le sexe des crabes entre différentes prises, ainsi que des caractéristiques anatomiques incompatibles avec la réalité. Les autorités locales ont conclu à une fabrication artificielle des contenus visuels et ont placé l’acheteur en détention administrative pendant plusieurs jours, selon des documents rendus publics.

Ce dossier a attiré l’attention car il s’agirait de l’un des premiers cas documentés de fraude au remboursement fondée sur des images générées par intelligence artificielle ayant conduit à une intervention réglementaire formelle. Il met en lumière une transformation plus large des risques opérationnels auxquels font face les plateformes de commerce numérique.

Les données issues d’acteurs spécialisés dans la prévention de la fraude confirment cette tendance. Forter, société américaine de gestion du risque pour les paiements en ligne, estime que l’utilisation d’images retouchées ou entièrement synthétiques dans les demandes de remboursement a progressé de plus de 15 % depuis le début de l’année, avec une diffusion observée sur plusieurs marchés internationaux. Selon l’entreprise, la démocratisation des outils de génération visuelle réduit fortement les barrières techniques à ce type de fraude.

Les fraudeurs n’ont pas besoin d’atteindre un réalisme parfait. Les équipes chargées du traitement des litiges opèrent sous des contraintes de temps et de volume qui limitent leur capacité d’analyse détaillée. Cette réalité est exploitée aussi bien par des individus isolés que par des structures organisées. Des schémas de fraude à grande échelle ont été identifiés, impliquant des séries de demandes déposées sur de courtes périodes, associées à des images modifiées présentant des défauts similaires sur des biens domestiques variés. L’utilisation d’adresses IP tournantes et de comptes multiples vise à diluer les signaux de risque.

Face à cette évolution, certains vendeurs commencent à intégrer des outils d’intelligence artificielle dans leurs propres processus de vérification. Des solutions expérimentales analysent les métadonnées et les incohérences visuelles afin d’évaluer la probabilité de manipulation. Ces dispositifs restent néanmoins imparfaits et leur reconnaissance par les plateformes n’est pas systématique. En cas de litige, les règles de protection du consommateur continuent souvent de prévaloir, limitant la capacité des commerçants à refuser un remboursement.

L’enjeu dépasse la seule question des retours frauduleux. Il touche à l’architecture économique du commerce électronique, fondée sur la confiance et la fluidité des échanges. Des ajustements sont déjà envisagés par certains opérateurs, notamment un durcissement des politiques de retour ou l’introduction d’exigences supplémentaires en matière de preuve. Ces évolutions impliquent des arbitrages entre réduction des pertes financières et préservation de l’expérience utilisateur.

Le phénomène fait écho à des critiques antérieures formulées par les consommateurs eux-mêmes, qui dénonçaient l’usage d’images de produits générées par IA du côté des vendeurs. Dans les deux cas, la capacité à distinguer le réel du synthétique devient un facteur clé de crédibilité pour les places de marché numériques, avec des implications directes sur la gestion du risque, la conformité et la rentabilité des plateformes.

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