Pourquoi l’EPR de Flamanville accumule les galères?

En aura-t-on jamais fini avec l’EPR de Flamanville ? La semaine dernière, l’Autorité de Sûreté nucléaire (ASN) indiquait qu’EDF avait détecté des écarts par rapport au référentiel d’études concernant des soudures et des tuyauteries de la future centrale normande. Il s’agit d’un écart de conception concernant trois piquages du circuit primaire du réacteur. Celui qui contient l’eau permettant de refroidir le cœur du réacteur et de transférer l’énergie issue de la réaction nucléaire aux générateurs de vapeur. Suite à ce problème, l’ASN a prié EDF de trouver des solutions pour corriger l’erreur. Elle lui a aussi demandé de lui indiquer sa stratégie de traitement de cet écart de conception. 

Ce n’est pas la première fois que le gendarme du nucléaire interpelle le groupe de Jean-Bernard Lévy sur l’EPR de Flamanville. Depuis le début des premiers coups de pioche, il y a quinze ans, l’EPR normand est marqué par le sceau de la malédiction. EDF a dû réévaluer les coûts de construction près d’une dizaine de fois. Ils sont passés de 3,3 milliards d’euros en 2006 à 12,4 milliards en octobre 2019. Et la Cour des Comptes a récemment évoqué le chiffre de… 19,1 milliards. Dans le même temps, les dates de fin de construction ont aussi été révisées. Le

chantier devait être achevé en 2012. Aujourd’hui l’électricien prévoit le chargement du combustible pour fin 2022. Ce qui veut dire que l’EPR ne sera pas raccordé au réseau avant 2023. Au mieux.  

Perte de compétences de la filière nucléaire, mauvaises relations entre EDF et ses sous-traitants et partenaires, irréalisme des estimations initiales, responsables du projet dans le déni, manque de culture de la qualité, gouvernance inappropriée, refus de prendre en compte les bonnes pratiques en vigueur dans d’autres industries comme l’automobile ou l’aéronautique les raisons du fiasco de l’EPR de Flamanville sont multiples. Elles tiennent aussi à une série d’incidents relevés il y a dix-huit mois par l’ancien président du directoire de PSA Jean-Martin Folz dans un rapport resté fameux.

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Des problèmes de soudures

En 2007, il y eut une fissuration du béton du radier (la dalle de béton qui supporte l’enceinte de confinement) due à une mauvaise définition des hauteurs de bétonnage. L’année suivante, les critères de planéité du radier et d’un autre composant n’ont pas été satisfaits. Les soudures, mal réalisées, doivent être réparées, ce qui retarde le chantier de près d’un an. En janvier 2011, un accident mortel a entraîné un arrêt de deux mois. A la fin de l’année, des problèmes dans l’homogénéisation du béton et dans la piscine de stockage des combustibles génèrent de nouveaux retards. Début 2012, les soudures des consoles du pont de manutention situé sous le dôme du bâtiment réacteur sont affectées de nombreux défauts et doivent être refaites. Ce qui entraîne plus d’une année de retard. En 2014, le chantier est cette fois ralenti par les difficultés de soudage des éléments du circuit primaire entre les tuyauteries et les générateurs de vapeur. Plus grave, on constate quelques mois plus tard des ségrégations de carbone excessives dans les fonds de la cuve du réacteur. Cela entraîne l’engagement d’un programme d’essais exhaustifs avant l’autorisation en 2018 de la mise en service du fond de cuve. Quant au couvercle, jugé non conforme, il devra être remplacé dans trois ans.

En 2015, EDF subissait un nouveau coup dur en découvrant des irrégularités dans des dossiers de suivi de fabrication de pièces nucléaires chez son partenaire Framatome. Un incident qui a généré d’importants surcoûts et retards. Deux ans plus tard, ce sont cette fois les exigences de qualité sur les soudures du circuit secondaire qui ne sont pas atteintes. Une cinquantaine de soudures peut être réparée. Mais pour huit mal placées, c’est plus compliqué. EDF propose trois solutions de réparation. Après avoir écarté les deux premières, l’Autorité de sûreté nucléaire se rallie à la troisième qui consiste à faire effectuer les travaux par un robot inséré dans la tuyauterie.

Réussite de l’EPR de… Taishan

Pour l’EPR normand les problèmes sur les soudures sont des sujets récurrents. Fin 2019 des défauts apparaissent sur des soudures des générateurs de vapeur. Ce qui oblige EDF à justifier par des études et des essais que ces composants du circuit primaire présentent bien les caractéristiques mécaniques attendues. On en est là aujourd’hui avec l’EPR de Flamanville. Rarement un objet industriel aura accumulé autant de galères. La centrale de troisième génération accuse maintenant plus de dix ans de retard sur sa feuille de route initiale et son coût a quintuplé. Fallait-il lancer un tel chantier ?  Aux sceptiques, EDF ne manque jamais de dire que l’EPR fonctionne. Sauf qu’il ne s’agit pas de celui de Flamanville mais de celui de Taishan en Chine.

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