Pourquoi les conditions de marché n’assurent pas à elles seules la réussite d’une IPO

Sur les 13 introductions en Bourse sur le premier semestre à Paris, seule Euroapi est parvenue à dégager une performance positive au 30 juin. Les conditions de marché se sont dégradées sous l’effet notamment du renchérissement du coût de l’argent. Mais résumer la réussite d’une opération uniquement à la météo boursière serait oublier un élément essentiel : les conditions offertes aux investisseurs dont l’incontournable valorisation.

Après une année 2021 historique, le premier semestre a été loin d’être faste sur le front des introductions en Bourse. Le confit ukrainien et les craintes sur l’inflation ont dissuadé les candidats de céder aux sirènes de la Bourse. Le marché s’est dégradé sous l’effet des « des préoccupations autour de la valorisation des IPO et la hausse de l’inflation, du prix des matières premières, des taux d’intérêt auxquels s’ajoutent des politiques monétaires qui devraient se resserrer ; tendance que le récent conflit en Ukraine a exacerbée », a détaillé PwC dans son dernier rapport IPO Watch Europe.

La chute, tant en valeur qu’en volume, s’explique par un contexte macroéconomique n’incitant pas les entreprises à se jeter dans le grand bain boursier.

Euroapi au top / la déception SMAIO

Les valeureuses sociétés qui ont malgré tout tenté l’expérience boursière à la Bourse de Paris sur le premier semestre sont au nombre de treize tous marchés confondus. Quatre sociétés ont fait leurs premiers pas sur le marché non réglementé Euronext Access (Bonyf, Embention Sistemas Inteligentes) et sa variante Euronext Access + (Medical Devices Ventures, Glass to Power). Cinq ont opté pour Euronext Growth, le compartiment phare des petites et moyennes capitalisations (Haffner Energy, Hunyvers, SMAIO, Broadpeak et Fill Up Média). Et les quatre dernières se sont lancées sur le marché réglementé d’Euronext Paris (Aelis Pharma, Euroapi, EureKING et Lhyfe). Avec des fortunes diverses…

Le 15 février, Haffner Energy bravait les éléments pour devenir la première société introduite sur Euronext Paris en 2022. Dans ce contexte adverse d’envolée de l’inflation et de tensions géopolitiques (dès janvier, les tensions entre la Russie et l’Ukraine pesaient sur le moral des investisseurs) l’introduction de cette société ayant développé un processus de production d’hydrogène permettant la capture de carbone n’a pas fait le plein puisque le prix a été fixé dans le bas de la fourchette comprise entre 8 et 9,50 euros. Le PDG pouvait néanmoins se déclarer à bon droit « content de voir l’opération aboutir alors que toutes les opérations qui nous précédaient ont été suspendues dans ce contexte de marché tendu où les investisseurs adoptent une position beaucoup plus attentiste ». Haffner Energy a terminé le semestre en repli de 9,63% pour clôturer à 7,23 euros, un score plutôt meilleur que la moyenne.

Le spécialiste de l’énergie verte a été suivi quelques jours plus tard d’Aelis Farma. La société qui développe une nouvelle génération de médicaments pour le traitement des maladies du cerveau a lâché jusqu’à 14% dans ses échanges inauguraux malgré un prix d’introduction déjà fixé en borne basse à 14,02 euros. Les premiers pas boursiers d’Aelis Pharma ne sont pas couronnés de succès avec une baisse de 19,83% de son cours au 30 juin 2022.

Dans un univers totalement différent, le concessionnaire de camping-cars, Hunyvers a fait l’unanimité en mars pour la première entrée en Bourse post éclatement du conflit ukrainien. Sursouscrite près de trois fois, l’offre a connu un très grand succès. L’action s’inscrivait même en hausse pour son premier jour de cotation à la Bourse de Paris. Depuis, Hunyvers a fait preuve de résistance malgré le contexte boursier, le dossier étant favorisé par l’appétence des consommateurs pour le tourisme itinérant depuis la crise sanitaire.

SMAIO arrivé en Bourse début avril ne peut pas en dire autant. Le spécialiste du traitement des pathologies de la colonne vertébrale accuse le plus lourd repli des récentes arrivées en Bourse avec un repli de 20,58% à la clôture du 1er semestre. Un mois plus tard, ce fut au tour d’Euroapi de faire son entrée, mais sans avoir eu à séduire les investisseurs. La filiale spécialisée dans les principes actifs de médicaments a en fait été scindée du reste des actifs du groupe pharmaceutique Sanofi, dont les actionnaires ont automatiquement reçu des actions Euroapi. Séduisant les analystes, le titre affiche la meilleure performance de cet échantillon avec un gain de 25,42% depuis son entrée en Bourse début mai. Toujours dans la santé, le producteur de biomédicaments Eureking a fait une entrée plus discrète que celle d’Euroapi. Sans appel public à l’épargne là aussi, le placement a été effectué auprès d’investisseurs qualifiés via une SPAC, le cours de référence d’Eureking étant fixé à 10 euros par action.

Fin mai, un autre producteur d’hydrogène « vert » Lhyfe est parvenu à surmonter les mauvais augures pour faire ses premiers pas en Bourse. Le dossier a depuis décliné de 8,75% sur un mois.

En ce qui concerne les introductions du mois de juin, le cours de Broadpeak, spécialiste breton des solutions logicielles dédiées au streaming vidéo n’a pas bougé par rapport à son prix d’introduction de 6,41 euros tandis que celui de Fill Up Média s’est replié de 5% sur les deux derniers jours qui ont précédé la fin du semestre.

Trier le bon grain de l’ivraie

Indépendamment des mérites des différents impétrants, l’entrée en Bourse la plus remarquée depuis le début de l’année, à l’aune de la taille de l’entreprise, est celle de Deezer. Sept ans après un premier échec, le concurrent du suédois Spotify a fait ses premiers pas boursiers mardi 5 juillet. Avec un succès plus que mitigé, le titre a perdu jusqu’à -35% par rapport à son prix d’introduction fixé à 8,50 euros. Si pour la direction de Deezer, les planètes étaient parfaitement alignées, les marchés eux n’ont pas été à l’écoute des arguments de Guillaume d’Hauteville.

Un an auparavant, le label de musique Believe avait connu pareille mésaventure. Mais selon le fondateur de l’entreprise, le coupable est tout désigné: dans un entretien accordé à Maddyness, Denis Ladegaillerie a avancé l’explication que « ce qui s’est passé le premier jour de trading est simple : un hedge fund a placé un gros ordre de vente dès l’ouverture. Cela a fait chuter le cours et a déclenché le seuil de vente automatique à -5, -10, -15% ». JPMorgan, en tant qu’agent stabilisateur, avait pourtant acheté 1 million d’actions ce jour-là. « Les banquiers disent que ces stratégies visant à spéculer à la baisse sur les introductions se font de plus en plus régulières. Malheureusement, cela nous est arrivé. J’aurais préféré voir le cours monter de 5 ou 10 % » reconnaissait alors le fondateur de Believe. Si les banquiers le disent…

L’entrée en Bourse de Deezer a donc jeté un froid sur une dynamique des introductions déjà précaire. La reprise de l’inflation a obligé les banques centrales à revenir sur terre en mettant fin à leurs politiques monétaires ultra-accommodantes, envoyant les taux d’intérêt à des niveaux inédits depuis des années, même au risque d’une récession.

Dans ce contexte, les investisseurs particuliers seront enclins à être de plus en plus sélectifs et à privilégier des sociétés prometteuses et résilientes. Les marchés ne sont plus en mesure d’accepter que des entreprises au business model bancal se présentent avec une valorisation déraisonnable.

Le deuxième semestre se présente ainsi dans une configuration diamétralement différente de celui de l’année dernière à pareille époque. La saison des publications semestrielles à venir va être un excellent baromètre pour mesurer les répercussions de l’inflation sur la marche des affaires des sociétés concernées. La première salve de publications de l’année avait quelque peu donné le ton des conséquences du renchérissement des coûts des matières premières sur les marges. Après six mois d’exercice et une visibilité affaiblie, il est fort à parier que les entreprises vont être contraintes dans les prochaines semaines de réviser à la baisse leurs anticipations. Du côté des fonds, les poches de liquidité se réduisent comme peau de chagrin avec la fin de l’ère de l’argent gratuit. Un terrain peu propice à un emballement des introductions en Bourse.

Quelques dossiers devraient toutefois sortir du bois d’ici à la fin de l’année. Les profils des sociétés qui se présenteront aux investisseurs seront probablement des dossiers plus solides, au business model éprouvé qui cherchent à lever des fonds pour financer un changement d’échelle et ainsi briser un plafond de verre dans leur développement.

Au moment de l’introduction en bourse, l’entreprise doit en effet proposer aux investisseurs une vision claire sur 3 à 5 ans, rappelle Nisa Benaddi, associée chez EuroLand Corporate. Pour maximiser les chances d’une histoire boursière réussie, elle rappelle que les sociétés doivent veiller à annoncer un projet de développement clair sur un segment de marché porteur qui est porté par un management impliqué, y compris au capital. « Éviter absolument de survaloriser la société, d’autant que cela implique des projections très, voire trop ambitieuses » et de survendre les perspectives, en gardant plutôt de la marge « de manière à surprendre positivement le marché », sont aussi les clés d’une introduction en Bourse réussie pour Nisa Benaddi. En revanche, les entreprises souhaitant uniquement s’introduire en Bourse pour financer leur cycle d’exploitation sans vision claire seront clairement évincées du choix des investisseurs.

La Bourse reste un formidable moyen pour les entreprises de se financer. Toutefois, les « conditions de marché » -systématiquement mises en cause lorsque l’opération n’aboutit pas- ne résument pas à elles seules l’échec ou la réussite d’une opération. Ce sont bien les conditions proposées aux investisseurs (multiples de valorisation demandés) qui in fine garantissent ou non la réussite du projet.