Depuis plusieurs mois, des témoignages d’employés de restaurants révèlent une méthode peu scrupuleuse destinée à gonfler la marge face à la hausse des coûts. Cette manœuvre, dénommée « rempotage », consiste à substituer une bouteille de qualité supérieure par un produit moins onéreux, tout en continuant à facturer la carte au tarif initial. Les consommateurs, souvent peu informés des millésimes ou des cépages, paient ainsi pour un vin qu’ils ne boivent pas.
Mécanisme de l’escroquerie
Le rempotage s’appuie sur la similitude visuelle et gustative entre deux crus appartenant à la même famille de cépages. Par exemple, un serveur peut verser dans un flacon de Chianti un vin équivalent pratiquement invisible au palais, comme un Bardolino bon marché. Cette substitution se répète lors des « happy hours », quand la demande est plus soutenue et les volumes de bouteilles plus importants. Certains établissements fournissent à leur personnel des étiquettes vierges, qu’ils collent sur des flacons personnels ou sur des contenants de moindre qualité, afin de maintenir l’illusion jusqu’à l’addition.
D’autres professionnels évoquent le remplacement de Beaujolais par un Côtes-du-Rhône bas de gamme au moment de la préparation des commandes. La violence inflationniste oblige souvent les restaurateurs à opter pour des fournisseurs moins coûteux, mais ce passage d’étiquette à étiquette dépasse la simple renégociation avec le grossiste. La diminution des marges sur les plats et boissons pousse certains à privilégier la supercherie pour préserver des résultats financiers à court terme.
Les touristes étrangers constituent une cible privilégiée, comme le confie Tristan, serveur depuis dix ans à Paris. Les visiteurs, facilement impressionnés par des noms de domaines viticoles qu’ils ne maîtrisent pas, ont moins de moyens de remettre en question la nature du cru servi. Dans les quartiers très fréquentés par une clientèle internationale, la rotation des tables et la multiplicité des réservations facilitent la manipulation : le personnel change fréquemment, et chaque nouveau groupe de convives peut être confronté à une variation de qualité sans s’en rendre compte.
Les locaux sont également touchés, notamment lorsque l’attrait pour des cartes des vins étoffées se heurte à une augmentation du prix des achats en gros. Des régions viticoles renommées font l’objet d’abus répétés : des Cru Bourgeois bordelais remplacés par des appellations génériques, des vins de Loire facturés comme des Saumurs de premier choix. Dans les grandes métropoles comme Lyon, Bordeaux ou Marseille, les établissements qui prétendent proposer une sélection rigoureuse exploitent parfois l’ignorance du client sur les spécificités d’une année ou d’un domaine précis.
Sarah, serveuse dans un bistrot parisien depuis plus de trente ans, détaille la pratique : « J’ai déjà versé du Bardolino à la place d’un Chianti lors de la formule au verre. Les clients ne détectent que rarement la différence, car les deux vins présentent une robe rouge similaire ». Elle ajoute que cette substitution peut aussi toucher des vins en appellation d’origine contrôlée (AOC) : « On fait passer du Côtes-du-Rhône pour un Châteauneuf-du-Pape basique, sans que personne ne pose de question. »
Un autre salarié, Mélanie, précise que certains restaurateurs fournissent directement aux serveurs des bouteilles de contrefaçon, estampillées des étiquettes d’un grand nom. Les consommateurs, en quête d’une expérience authentique, sont dupés tant visuellement que gustativement, et la facturation reste inchangée, voire supérieure si l’on considère la marge générée sur des bouteilles soi-disant haut-de-gamme.
Encadrement légal et sanctions encourues
Le Code de la Consommation interdit formellement toute dissimulation de la nature réelle des produits vendus. L’article L. 441-1 stipule que quiconque trompe le consommateur sur l’origine ou la qualité d’un produit encourt une amende pouvant atteindre 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement. Les inspections récurrentes de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ciblent désormais les établissements dont la rotation des vins dépasse un seuil anormalement élevé par rapport aux commandes reçues.
Pour détecter cette falsification, les enquêteurs comparent les dépôts de facturation auprès des fournisseurs à l’inventaire réel des stocks. Toute anomalie – comme un volume de bouteilles livré inférieur au nombre de consommations facturées – suscite un contrôle approfondi. Les sanctions peuvent s’appliquer à la fois au gérant de l’établissement et aux employés impliqués dans la chaîne de substitution.