Total de nouveau en piste à Chypre … en coopération avec l’Egypte, nouvel acquéreur des Mistral

Bingo ! Alors que nous soupçonnions quelque peu que l’accord entre la France et l’Egypte sur la vente des navires Mistral de DCNS pourrait avoir une forte odeur de gaz  …. les faits semblent nous donner raison … Jugez plutôt …

Le géant pétrolier français Total va étendre un programme d’exploration de gaz naturel en off-shore à Chypre, et ce après que les précédentes opérations de recherche en hydrocarbures  se soient  soldées par des échecs. C’est en effet ce que vient d’indiquer en début de semaine le ministre chypriote de l’Energie George Lakkotrypis, lors de sa visite en Égypte, dans le cadre d’entretiens tenus au Caire dans le domaine énergétique, Chypre et Egypte étant fortement liés sur ce dossier.

George Lakkotrypis s’est en effet  entretenu mardi dernier sur le sujet avec le Premier Ministre égyptien Sherif Ismail et le Ministre égyptien du pétrole Tarek El-Molla. L’objectif de la rencontre : «examiner les moyens de renforcer davantage la coopération entre Chypre et l’Egypte sur les questions des hydrocarbures » selon les termes mêmes d’une annonce officielle. Tout de même …

Difficile de croire qu’il ne s’agit que d’un hasard de calendrier …

–  Quand  Total se retirait de Chypre en janvier dernier –

Précisons qu’en janvier dernier, le ministre chypriote de l’Energie, George Lakkotrypis avait annoncé que le groupe énergétique français Total devrait abandonner ses travaux de prospection de gaz et de pétrole au large de Chypre. Raisons officielles invoquées : le groupe français n’aurait pas trouvé de cible importante pour entreprendre des forages d’essai. « Total n’a pas trouvé de structure ou cible géologique pour poursuivre ses obligations », avait alors précisé le ministre à la radio publique chypriote.

Réagissant à ces propos, Total avait alors confirmé avoir « récemment achevé les sondages géologiques, géochimiques et géophysiques des blocs 10 et 11, sans avoir pu identifier de cibles de forage potentielles. » Ajoutant que le groupe français était actuellement en discussion avec les autorités locales sur un potentiel programme de travaux d’exploration additionnels dans la zone.

Le ministre chypriote de l’Energie avait estimé que la décision prise par Total était avant tout liée à une volonté de « réduire ses pertes », motivée par des considérations de viabilité commerciale et « non par les tentatives d’Ankara d’empêcher l’exploration d’hydrocarbures au large de l’île » dont une partie est occupée par la Turquie. Rien que le fait de le mentionner signifiant tout de même que tel pourrait être bien être le cas, quoi qu’on en dise ….

Précisons à cet égard que Ankara pose comme préambule à l’exploitation de gisements d’hydrocarbures par le gouvernement chypriote-grec de la République de Chypre la signature d’un accord de paix, le but ultime étant que les Chypriotes et les Turcs bénéficient eux aussi de la manne pétrolière et gazière.

En octobre 2014, la Turquie avait affrété un bateau en vue de sonder les fonds marins dans la zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre, à proximité d’un secteur où Nicosie a autorisé le consortium italo-coréen Eni-Kogas  à mener des explorations. En guise de réaction, Nicosie avait suspendu les négociations de paix, relancées huit mois plus tôt sous l’égide de l’ONU.

– Projet de gazoduc commun entre Chypre et Égypte : un enjeu crucial –

En septembre dernier, une immense réserve de gaz naturel – Zohr – a été découvert au large des côtes égyptiennes par le géant pétrolier italien Eni, faisant craindre à Chypre que son exploitation ne diminue fortement à terme la demande de l’Egypte en gaz naturel chypriote.

Certes, les responsables égyptiens avaient tenu alors à rassurer Chypre face à ses préoccupations, insistant sur le fait qu’ils conservaient un vif intérêt pour l‘importation de gaz issu du champ chypriote dénommé Aphrodite.

Alors que les ressources en hydrocarbures situées au large de Chypre et d’Israël pourraient être un des enjeux de tout premier ordre dans la guerre du pétrole et du gaz à laquelle se livrent actuellement les grandes puissances mondiales, Nicosie et Le Caire ont  en effet signé en février dernier un protocole d’accord qui pourrait conduire le gouvernement chypriote à approvisionner en gaz son voisin égyptien via un gazoduc sous-marin (off-shore). Un tel projet permettrait en tout premier lieu à l’Egypte de solutionner son problème de pénurie énergétique, tout en offrant à Chypre la possibilité de s’affranchir d’une éventuelle tutelle financière russe, européenne, ou américaine. Voire israélienne.

Mais si Chypre souhaite réaliser des travaux d’exploration dans le champ gazier Aphrodite  récemment découvert au large du sud-est de l’île, ses réserves estimées ne sont pas assez importantes pour permettre à l’Etat chypriote de développer ses propres infrastructures d’exportation sur la terre ferme.

C’est fort d’un tel constat, que l’accord conclu en hiver dernier autorise la holding gouvernementale égyptienne Egas et la Compagnie nationale d’hydrocarbures chypriote à examiner des solutions techniques pour transporter le gaz naturel à travers un pipeline off-shore reliant directement le champ d’Aphrodite au territoire égyptien.

Rappelons que le champ Aphrodite découvert en 2011 par la compagnie américaine Noble Energy contiendrait, selon les estimations, entre 100 et 170 milliards de m3 de gaz. Des niveaux de réserves insuffisants pour pouvoir rentabiliser le projet d’usine de gaz naturel liquéfié à Vassiliko, près de la ville côtière de Limassol.

– La Méditerranée orientale : un secteur gazier prometteur … et convoité –

A noter que les recherches de Total s’intègrent dans une série de travaux de prospection et de production de pétrole menées par des entreprises internationales, incluant BP et ConocoPhillips, lesquelles ont réduit les budgets 2015 suite à la baisse des prix pétroliers. En 2014, le géant énergétique italien ENI a quant à lui mené des travaux d’exploration qui se sont révélés infructueux. La compagnie américaine Noble Energy a pour sa part trouve des réserves de gaz dans la zone en 2011.

Mais la donne a quelque peu changé depuis ces dernières semaines suite à l’annonce faite par Eni de la découverte du champ d’hydrocarbures, baptisé Zohr, lequel s’étend sur environ 100 km2 et pourrait contenir jusqu’à 850 milliards de mètres cubes de gaz. Plus encore, début septembre, le groupe énergétique italien a déclaré qu’il était prêt à céder une part de l’immense gisement de gaz naturel qu’il a découvert au large de l’Egypte. Volonté affichée : financer le développement de ce champ sans sacrifier ses dividendes. Une cession d’une part importante au géant pétrolier français Total serait-elle envisagée  avais-je alors suggéré ….

Dans une interview accordée au quotidien italien La Republicca, l’administrateur délégué Claudio Descalzi n’avait pas alors exclu une éventuelle cession de certains lots, qui pourrait permettre de « donner de la valeur et de la solidité au bilan financier » du groupe. Le groupe italien a déjà eu recours à cette pratique pour un gisement découvert au large du Mozambique, mais elle ne sera pas forcément indispensable dans le cas de Zohr, avait toutefois ajouté Claudio Descalzi. Lequel a tenu à préciser que les investissements étaient bien moins lourds qu’au Mozambique et que le gaz qui sera extrait du gisement égyptien sera destiné au marché local, où les prix du gaz sont déconnectés de ceux du pétrole.

Le montant des investissements initiaux pour lancer l’extraction de gaz s’élève à environ 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros), a estimé quant à lui lundi Khaled Abdel Badie, qui dirige la compagnie publique égyptienne de gaz Egas (Egyptian Natural Gas Holding). Ajoutant que « lorsque le développement du gisement sera achevé, le montant total des investissements atteindra 7 milliards de dollars ».

Selon Jason Kenney, analyste chez Santander, Eni pourrait chercher à monétiser une portion conséquente de ce gisement, peut-être jusqu’à 30% ou 40%, dans les trois ou quatre années à venir.

L’annonce de la découverte faite par ENI, relayée immédiatement par le ministère égyptien du pétrole, semble de prime abord une bonne nouvelle pour le régime al-Sissi, qui multiplie les appels du pied aux investisseurs internationaux. Claudio Descalzi, s’était rendu alors en personne au Caire pour présenter au président Sissi cette découverte, laquelle représente notamment à ses yeux “la possibilité de s’émanciper dans les décennies à venir d’une dépendance énergétique tellement contraignante qu’elle l’a obligé, à peine soixante-douze heures plus tôt , à signer à Moscou un accord difficile avec les Russes de Rosneft sur la fourniture de gaz liquide”. Où l’on retrouve la Russie … Simple hasard …. ?

– Les sources d’approvisionnement de l’usine de liquéfaction chypriote : un enjeu de taille de la bataille énergétique –

Rappelons enfin qu’en mai 2013,nous laissions entendre que les sources d’approvisionnement de l’usine de liquéfaction qui serait construite à terme  sur le territoire chypriote pourraient constituer un enjeu de taille dans la bataille que mènent actuellement majors pétrolières russes, européennes et américaines pour  tenter de rafler un maximum de licences d’explorations dans les gisements off-shores fort prometteurs situés au large de Chypre.

Car, si jusque là, Nicosie tablait  sur l’apport des ressources de gaz  israéliennes pour rentabiliser la construction de cette usine, l’Etat hébreu envisageait alors de construire  sa propre usine de liquéfaction, voire de faire transiter son gaz via pipeline  à travers la Turquie. Parallèlement, Israël s’était rapproché d’Ankara de manière assez inattendue, présentant ses excuses pour la mort de neuf Turcs lors de l’arraisonnement en 2010 d’une flottille brisant le blocus de l’enclave palestinienne de Gaza. Fortement incité par les Etats-Unis à agir dans ce sens …

Pour  Chypre, l’absence  des apports gaziers d’Israël pour alimenter l’usine la contraint à attendre que de nouvelles réserves soient confirmées, rentabilité oblige, avions nous déjà fait remarquer. Elément non négligeable alors que l’Etat chypriote a un besoin crucial de ressources financières …

Au final, le territoire turc représente ainsi un élément fondamental pour Israël en vue de déterminer la route la plus rentable pour exporter son gaz.
Une situation certes complexe qui  donne donc à la Turquie  une position on ne peut plus stratégique entre Chypre et Israël.  Pouvant pousser quelques puissances hégémoniques à vouloir influer sur sa politique en déstabilisant le pays … avais-je indiqué en janvier dernier.

– Déjà une odeur de gaz lors de la vente de rafales à l’Egypte ? –

Rappelons enfin que lors de la vente de Rafales de Dassault  à l’armée de l’air égyptienne en février dernier, nous indiquions que les champs gaziers offshores situés aux larges d’Israël et de l’Egypte  avaient pu peser dans la balance, alors que le géant pétrolier français Total éprouvait alors quelques difficultés dans le secteur. La France aurait pu ainsi consentir à s’éclipser devant l’Egypte au large de Chypre en échange de ventes d’appareils, avais-je ajouté ….

Elisabeth Studer – 14 octobre 2015 – www.leblogfinance.com

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