Ukraine : le gazoduc Nord Stream 2 va lui causer d’énormes pertes

Alors que début septembre, le géant gazier russe Gazprom a annoncé un pacte d’actionnaires avec les groupes allemands BASF et E.ON, le français ENGIE, l’autrichien OMV et l’anglo-néerlandais Shell pour travailler sur le projet du gazoduc Nord Stream 2 (ou North Stream 2), le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a affirmé en fin de semaine dernière que la mise en œuvre du pipeline sous la Baltique fera perdre à son pays de l’ordre de deux milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) par an.

Ces propos, prononcés lors d’une conférence de presse à Riga, visaient en tout premier lieu à alerter ses homologues baltes présents. En effet, selon M. Iatseniouk, Nord Stream 2 aurait également un impact négatif sur les budgets de la Pologne et de la Slovaquie. Selon lui, le gazoduc devrait va priver la Slovaquie de 800 millions de dollars de recettes annuelles, grevant le budget de la Pologne de 300 millions de dollars par an.

Autre élément négatif à ces yeux : le projet devrait ôter à l’Union européenne sa réelle indépendance énergétique. Rappelons à cet égard que le gazoduc a notamment pour but d’augmenter les livraisons de gaz russe vers l’Union européenne.

« Pour l’Ukraine, la construction du pipeline signifie son exclusion des livraisons de transit vers l’Union européenne. Deuxièmement, c’est la perte de deux milliards de dollars de revenus que nous recevons pour les livraisons du gaz à l’UE », avait déclaré M.Iatseniouk en septembre dernier, après sa rencontre avec le premier ministre slovaque. Il avait alors sévèrement critiqué le projet en le considérant comme anti-ukrainien et anti-européen.

Selon M.Iatseniouk, avec la construction du gazoduc Nord Stream 2, l’Union européenne perdrait la possibilité de livraisons directes via le territoire ukrainien, dont l’itinéraire est considéré comme le plus court.

Une argumentation qui raisonne de manière étrangement semblable aux paroles d’un responsable américain, lequel a déclaré le 5 novembre dernier que le pipeline censé stimuler les livraisons de gaz russe à l’Allemagne risquaient de priver l’Ukraine de plus de 2 milliards $ en frais de transit et allait à l’encontre de l’ objectif de réduire sa dépendance énergétique envers la Russie de l’UE.

« Vous devez vous demander : pourquoi soutenir l’Ukraine d’une main et l’étrangler de l’autre » a par ailleurs ajouté le sous-secrétaire adjoint pour la diplomatie de l’énergie Robin Dunnigan lors d’une conférence des décideurs.

Annoncé de manière inopinée en juin dernier, le pipeline vise à renforcer les capacités de Nord Stream, qui relie d’ores et déjà la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Il voit le jour après l’abandon du projet South Stream via le sud de l’Europe, gelé par l’Union européenne en pleine crise ukrainienne, et alors que dans le cadre du projet de gazoduc  Turkish Stream, les  négociations avec la Turquie traînent en effet en longueur, freinant le lancement des travaux.
Pour rappel, Engie doit détenir 10% de Nord Stream 2, Shell, OMV, BASF et EON détenant la même part, tandis que Gazprom en contrôlera 50%.

Début octobre, le commissaire européen chargé de l’Energie Miguel Canete a assuré quant à lui que l’UE allait surveiller de près le projet Nord Stream 2.

« Comme tout gazoduc en Europe, celui-ci devra pleinement respecter la réglementation communautaire, en particulier le Troisième paquet énergétique, mais aussi la réglementation environnementale et celle sur les appels d’offres », avait alors expliqué M. Canete, ajoutant que le projet n’était pas une priorité pour l’UE.

Le futur ministre polonais des Affaires étrangères Konrad Szymanski a d’ores et déjà prévenu qu’il ferait pression sur Bruxelles en vue d’empêcher sa construction, arguant que les bénéfices serviront à financer la puissance militaire russe.

Jeudi 12 novembre, le groupe énergétique français Engie (ex-GDF Suez) a présenté son investissement dans le nouveau projet de gazoduc russe comme « un signe supplémentaire de la confiance en la Russie et Gazprom ». Des propos bien au delà de la politesse prononcés par le PDG du groupe énergétique français, Gérard Mestrallet, lors d’une cérémonie marquant les 40 ans du premier contrat entre les deux entreprises.

M. Mestrallet a par ailleurs souligné qu’Engie avait toujours « maintenu le dialogue avec Gazprom malgré tous les problèmes géopolitiques et que le groupe français partage avec son partenaire russe la même vision de la place du gaz dans le mix énergétique ». Rien que cela ….

Alors que la Commission européenne tente de réduire la dépendance de l’UE vis à vis du gaz russe, Gazprom affirme à qui veut l’entendre que la consommation en gaz de l’Europe va augmenter dans les décennies à venir et que seule la Russie est en mesure de satisfaire à cette demande à des prix compétitifs.

Le patron de Gazprom, Alexeï Miller, a quant à lui souligné que l’entreprise russe pouvait fournir autant de gaz qu’Engie voudra. Selon lui, les accords entre les deux groupes contribuent à la sécurité énergétique dans la mesure où ils contribuent à des livraisons sans perturbations de gaz russe au marché européen.

Sources : AFP, sputniknews.com

Elisabeth Studer – 12 novembre 2015 – www.leblogfinance.com

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