Vente directe : « La Ruche qui dit Oui » au banc d’essai

Les circuits courts sont à la mode. Le récent scandale de la viande de cheval ne fait que renforcer le phénomène. D’un côté, les consommateurs cherchent de plus en plus à privilégier la proximité en quête de traçabilité. De l’autre, les producteurs cherchent à réduire le nombre d’intermédiaires pour dégager des marges plus substantielles.

Si les marchés de plein air et les ventes à la ferme restent les principaux moyens de distribution de produits agricoles en circuits courts (voir l’étude Agreste de 2012 : « un producteur sur cinq vend en circuit court » ), de nouveaux réseaux se développent, à l’image des Amap, de la Ruche qui dit oui, des Jardins de Cocagne,… tous favorisent les échanges directs entre producteurs locaux et un réseau de consommateurs via, généralement, un système de paniers de produits.

Imaginée il y a trois ans, La ruche qui dit Oui se présente comme une alternative à la communauté des Amap. Fondée par Guilhem Chéron et Marc-David Choukroun, la plateforme informatique permet d’optimiser cette nouvelle façon de commercer. En gros, il s’agit d’un véritable outil de vente en ligne qui permet aux membres de la ruche, appelés également abeilles, de butiner dans une sélection assez large de produits.

Comment fonctionne une ruche ?

C’est très simple, pour démarrer il faut tout d’abord une impulsion. Un particulier décide de créer une ruche. Pour cela, il met en place un réseau de producteurs locavores, c’est-à-dire, dans un rayon de 250 kilomètres maximum et il recrute les membres qui s’inscrivent sur le site. Chaque semaine, le responsable met en ligne une sélection de produits. Les consommateurs ont 6 jours pour passer commande sans obligation d’acheter tous les produits référencés. Si le nombre de commandes est suffisant pour que le producteur se déplace, le montant de la commande est débité via le site internet. Le jour de la livraison, les consommateurs se retrouvent sur le lieu de distribution pour récupérer leurs courses.

Au total, 283 ruches ont été ouvertes et 151 sont en construction. Le système repose sur un modèle équitable qui rémunère au mieux les producteurs qui vendent directement leurs produits et payent des frais de services de l’ordre de 16,7% (8,35% pour le responsable de la ruche et 8,35% pour l’équipe de la ruche mère qui gère le développement de la plate-forme internet et le bon fonctionnement du réseau). Au total, les producteurs récupèrent donc 83,3% du prix de vente hors taxes au consommateur.

Gros avantage par rapport aux Amap, la liberté. Une abeille peut commander quand elle veut ce qu’elle veut. Et il n’y a pas de sollicitations financières en début d’année. Il n’y a pas par contre l’engagement militant que proposent les Amap, et cette volonté de soutenir financièrement un producteur durant toute l’année. Autre différence notable, les produits vendus ne sont pas forcément issus de l’agriculture biologique. Le producteur s’engage toutefois à réduire au maximum les intrants.

>> Pour en savoir plus, lire : L’Amap au banc d’essai

Olivier(*) gère la ruche qui dit oui de la rue Papin dans le 3e arrondissement de Paris. Ce militant écologiste a créé un réseau comprenant 1.890 membres et 32 producteurs locaux avec 300 produits référencés. Un énorme travail qui paie puisque sa ruche fait désormais partie des plus actives de la capitale. Sur les deux derniers mois, il revendique 120 commandes.

La ruche était pour lui comme une évidence, surtout après une mauvaise expérience en Amap. « Je me suis enfui. Je me suis fait engueuler parce que je n’avais pas fait mon tour de distribution ». Au moins avec la Ruche, il n’y a pas d’obligation d’inscription, de cotisation, de tour de distribution…

Mais c’est un gros investissement, reconnaît-il. Il faut non seulement chercher les producteurs, mais aussi coordonner l’ensemble. Un gros travail a été effectué au sein de son organisation pour rationaliser les coûts de transport, en les regroupant au maximum par bassin de production. Ainsi, une Scop de transport a vu le jour pour permettre de gérer l’acheminement de certaines marchandises. Un camion a notamment été co-financé à travers le crowdfunding.

Un revenu de 700 euros par mois

Olivier admet que cette activité lui fournit un bon complément de revenus, de l’ordre de 700 euros par mois. Et de se justifier en soulignant que « la rémunération créée une exigence ». Nous sommes donc très loin de l’univers amapien qui » diabolise l’échange marchand ».

Pour Olivier, la Ruche, c’est un formidable anti-dépresseur. « Il faut le vivre pour le croire ». « On parle aux gens. Ça crée une communauté de contact dans une atmosphère très harmonieuse ».

Le système est tellement bien huilé que la Ruche a adopté un système de numéro pour les membres. Pas évident que cela favorise la convivialité, les abeilles devenant des numéros, un peu comme Patrick Mc Goohan dans Le Prisonnier… Lors de notre présence, les échanges entre consommateurs et les producteurs se bornaient bien souvent à « commande n° 34, s’il vous plait ». Si Olivier reconnaît que cela casse un peu le mythe du rapprochement entre les producteurs et les consommateurs, il admet toutefois que cela permet d’aller beaucoup plus vite dans la distribution des colis. Un producteur évoque certaines Ruches où l’on peut goûter les produits, à chaque distribution, un peu à l’image de celle du comptoir général, situé dans le 10e arrondissement de Paris, qui organise un repas pour tous les membres présents.

  >> La Ruche qui dit Oui de la Gaîté Lyrique en vidéo :

Concernant les revenus, les producteurs semblent globalement satisfaits. Certains participent à plusieurs réseaux pour rentabiliser leur déplacement. « Je ne gagne pas mieux mais pas moins bien ma vie avec ce système », admet Michaël Robert, maraîcher de Seine-Maritime. « C’était une autre optique de développement », poursuit-il, louant le fait qu’en se déplaçant il sait que tout sera vendu sur place, contrairement au marché. Pour un autre producteur présent lors de notre passage, ce n’est pas évident à chaque fois puisqu’il faut un minimum de 300 euros de transactions pour rentrer dans ses frais. Hors ce jour-là, il affichait un chiffre d’affaires d’à peine 150 euros…

Alexandra, une jeune membre de la Ruche, évalue ses dépenses hebdomadaires entre 20 et 25 euros. Si elle reconnaît que le critère de l’argent n’est pas vraiment celui qu’elle regarde en premier, elle considère qu’avec son panier pour une personne de légume qui couvre les besoins de deux, le fromage, le lait, le beurre et les yaourts qu’elle commande chaque semaine, c’est pas cher payé pour la qualité. « J’ai l’impression de manger mieux », conclut-elle. Mission remplie pour la Ruche.

 (*) A sa demande, son prénom a été changé.


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