Air-France : une recapitalisation pour un nouvel envol

Espérant laisser définitivement derrière lui le cauchemar de la crise sanitaire, Air France-KLM a annoncé ce mardi 24 mai une nouvelle recapitalisation de 2,26 milliards d’euros, qui verra l’armateur CMA CGM devenir son troisième actionnaire après les États français et néerlandais. Le groupe aérien, auquel le Covid-19 a fait perdre quelque 11 milliards d’euros depuis 2020, veut affecter la majorité des montants levés au remboursement d’une aide exceptionnelle consentie par l’État français. Celui-ci et les Pays-Bas ont l’intention de souscrire à cette augmentation de capital pour garder les mêmes niveaux de participation, soit respectivement 28,6% et 9,3%, induisant des montants de quelque 645 et 220 millions d’euros.

Le Parlement néerlandais devra donner son feu vert à cette dernière rallonge. En revanche, les deux autres principaux actionnaires actuels, les compagnies chinoise China Eastern et américaine Delta Air Lines, verront leur participation diminuer au profit d’un nouvel entrant, CMA CGM. L’armateur et logisticien français investira jusqu’à 400 millions d’euros et deviendra, avec 9%, le troisième actionnaire du groupe si l’opération, démarrant ce mercredi 25 mai et courant jusqu’au 9 juin, se déroule comme prévu. China Eastern passera dans ce cas de 9,6% à 4,7% du capital, et Delta de 5,8% à 2,9%.

Le principe de l’entrée du PDG de CMA CGM Rodolphe Saadé au Conseil d’administration du groupe franco-néerlandais a été entériné ce mardi après-midi par les actionnaires, réunis en assemblée générale près de l’aéroport de Roissy au nord de Paris. Conséquence logique de l’émission prévue de nouveaux titres, le titre Air France-KLM a perdu 20,63% à la Bourse de Paris mardi dans les derniers échanges, dans un marché en repli de 1,66%. Pour Christophe Dewatine, secrétaire général CFDT-Air France, l’opération « arrive au bon moment ». « C’est plutôt une bonne nouvelle avec une bonne surprise, c’est de voir l’État néerlandais rentrer dans le projet sans sourciller », a-t-il affirmé à l’AFP.

Il s’agit du deuxième étage des mesures entreprises pour assainir les finances du groupe, après une première recapitalisation en avril 2021. Outre un doublement de sa participation, le gouvernement français avait alors accepté de convertir en obligations perpétuelles une aide de trois milliards d’euros consentie dès le printemps 2020. Cette aide avait reçu le feu vert de la Commission européenne, dans le cadre des mesures exceptionnelles prises face à la crise sanitaire. Mais l’institution avait contraint Air France-KLM à des concessions, dont l’abandon de créneaux aéroportuaires et l’interdiction d’effectuer des acquisitions stratégiques au-delà de 10% du capital des entreprises concernées tant que les aides d’État n’auront pas été remboursées à au moins 75%.

Air France-KLM souhaite « se libérer » en particulier de cette dernière contrainte, alors que de nombreuses opportunités se dessinent en période de sortie de crise, dont la nouvelle compagnie transalpine ITA, également convoitée par le tandem Lufthansa/MSC. Le groupe « affectera environ 1,7 milliard d’euros » du montant qu’elle espère lever au remboursement des obligations souscrites par l’État, tandis que « le solde viendra réduire l’endettement net », qui était de 7,7 milliards d’euros fin mars.

Air France-KLM avait déjà annoncé vendredi 20 mai vouloir affecter au remboursement des aides françaises les 500 millions d’euros que le fonds américain Apollo va investir dans une filiale propriétaire d’un parc de moteurs de rechange. « À mesure que la reprise se confirme et que nos performances économiques se redressent », Air France-KLM veut pouvoir « saisir toute opportunité dans un secteur aérien en transformation », a commenté le directeur général du groupe, Benjamin Smith, cité dans le communiqué. Après avoir divisé sa perte nette par trois sur un an au premier trimestre, Air France-KLM a manifesté son optimisme pour la saison estivale, malgré les conséquences de la guerre en Ukraine: les niveaux d’activité pour la cruciale période d’été devraient s’approcher de ceux de 2019 et même les dépasser pour la filiale « low cost » Transavia. Selon ses dirigeants, le groupe est sorti intrinsèquement plus rentable de la crise après avoir mené depuis deux ans un plan tous azimuts de réduction des coûts, incluant la suppression de 14.000 postes.

Idée de Rodolphe Saadé

Quelques jours avant l’assemblée générale du 24 mai, CMA CGM, troisième armateur mondial, annonçait son entrée au capital d’Air France-KLM, doublée d’un partenariat exclusif de dix ans dans l’activité cargo. En février, Benjamin Smith n’avait pas caché qu’après avoir levé 1 milliard d’euros l’an passé, il aurait à nouveau besoin de renforcer ses fonds propres. Pour un montant estimé « jusqu’à 4 milliards d’euros », en mixant appel aux actionnaires et émissions d’obligations. L’arrivée du géant des mers « fait coup double, juge Yan Derocles, analyste chez Oddo BHF. Cela relâche la pression du côté des actionnaires et renforce les opportunités commerciales dans le cargo ». Peu habitué à être en position minoritaire dans les affaires, « c’est Rodolphe Saadé qui a voulu adosser ce partenariat commercial à une prise de participation capitalistique, afin de réellement peser », raconte un proche de l’armateur. Le patron du groupe familial tient également à siéger personnellement au conseil d’administration d’Air France-KLM.

Nouveau champion mondial

Les choses pourraient aller plus vite sur le plan commercial. Avec CMA CGM, le transporteur français pourra créer un nouveau champion mondial du fret aérien dont l’activité a explosé pendant la pandémie. Les nouveaux modes de consommation sur Internet bouleversent les besoins de transport. « En Europe, nous serons le numéro un et le numéro quatre dans le monde en termes de réseau et de capacités », se réjouit l’entourage de Rodolphe Saadé.

Insatiable, l’armateur marseillais, qui a doublé de taille depuis 2017, s’est lancé seulement l’an dernier dans les vols cargo, avec deux avions. Basé à Roissy-CDG, le nouvel ensemble alignera, dès sa création, une flotte de 10 avions tout cargo qui montera, avec les commandes en cours, à 22 appareils en 2028. Sans compter l’utilisation des soutes des 160 avions long-courriers d’Air France et KLM, incluse dans l’accord. De quoi être bien armé dans un marché où les tarifs, selon Iata (L’Association du transport aérien international), ont flambé de 150% depuis 2019.