La Russie étonnamment discrète sur le drame d’in Amenas, qui frappe les salariés de l’industrie pétrolière internationale présente en Algérie. Et pourtant, le dossier concerne on ne peut plus Moscou …
Rappelons en effet, que le site visé par les terroristes est loin d’être ignoré par le géant russe, et pour cause.
En octobre 2010, l’agence de presse Interfax, citant Mikhail Fridman, directeur général et actionnaire du producteur pétrolier russe TNK-BP, détenu pour moitié par BP PLC (BP), était intéressé par les actifs algériens du géant pétrolier britannique.
Accompagnant le président russe Dmitri Medvedev lors d’une visite officielle en Algérie, M. Fridman, avait alors déclaré qu’il espérait une décision positive concernant ces actifs.
Des déclarations confirmant les informations du Wall Street Journal selon lesquelles TNK-BP serait intéressé par le rachat des actifs de BP en Algérie, à savoir deux importants projets de gaz naturel, à Salah et à In Amenas. La presse rappelant par ailleurs que BP participe également au projet pétrolier de Rhourde El Baguel et mène des activités d’exploration pétrolière dans le bloc Bourarhet près de In Amenas.
TNK-BP souhaitait ainsi s’installer en Algérie via l’acquisition des actifs de BP tandis que le gouvernement algérien souhaitait alors exercer son droit de préemption sur les actifs que BP voulait céder pour faire face à ses besoins en liquidités dus notamment à la catastrophe de la marée noire du golfe du Mexique.
Le président Medvedev était alors notamment accompagné par les dirigeants de TNK-BP, ces derniers étant venus plaider leur cause pour éviter le droit de préemption.
Interrogé par la presse, le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi, avait alors indiqué que la vente d’actifs de BP en Algérie « était en négociations avec Sonatrach», sans donner plus de détails.
Un représentant de BP avait quant à lui indiqué que «BP n’allait pas quitter l’Algérie», le groupe pétrolier étant alors présent en Algérie via un partenariat avec Statoil et Sonatrach. A cette date, les deux gisements ( Salah et à In Amenas) produisaient chacun 9 milliards de mètres cubes par an avec en plus 48 000 b/j de condensât pour In Amenas.
En mars 2011, le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi, avait révélé au Cera Week 2011 (Cambridge Energy Research Associates), à Houston (USA) l’intention de l’Algérie d’exploiter le gaz de schiste. «Nous sommes intéressés par l’exploitation des réserves de gaz non conventionnels. Nous sommes en train de préparer un programme pilote. Nous sommes en train de choisir une région où toutes les conditions sont réunies. Le programme sera réalisé par la société nationale Sonatrach et un partenaire étranger», avait-il souligné.
Indiquant par ailleurs que «le pays ne dispose pas de la technologie complexe nécessaire pour réaliser ce type d’exploitation », mais « souhaite partager les coûts d’exploitation élévés de ce type de ressources».
Total et BP avaient immédiatement fait part de leur intérêt, le ministre de l’Energie et des Mines indiquant de son côté que les réserves de gaz non conventionnels algériennes étaient aussi importantes que celles des Etats-Unis. «Les résultats préliminaires de notre évaluation du potentiel de gaz non conventionnels et notamment de gaz de schiste indiquent que le potentiel est au moins comparable aux plus importants gisements américains», avait-il ainsi déclaré.
Au début de l’année 2011, la compagnie BP (British Petroleum) – partenaire actuel du géant pétrolier algérien Sonatrach sur le site d’In Amenas – s’est ainsi engagé avec Sonatrach pour exploiter des gaz de schiste.
Elément qui a son importance : le groupe pétrolier britannique BP avait alors créé la surprise en décidant d’annuler son plan de cession de ces actifs en Algérie. Cette annonce intervenant quelques jours après l’annonce faite par TNK-BP, groupe russe détenu à moitié par BP, laissant entendre qu’il demeurait intéressé par les actifs algériens du groupe britannique. TNK-BP ajoutant même qu’il pariait sur un changement politique en Algérie pour atteindre ses objectifs.
Le ministre algérien de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi n’avait pour sa part fourni aucune explication détaillée à cette évolution de la position de BP.
Des informations publiées alors par le site TSA, laissaient entendre que Sonatrach allait s’associer avec BP pour exploiter d’importants gisements de gaz de schiste. Au final une opportunité pour la société algérienne de s’associer à un groupe maîtrisant la technologie complexe de l’extraction du gaz de schiste, le géant pétrolier britannique sautant quant à lui sur une occasion d’accéder au gigantesque potentiel algérien en matière de gaz non conventionnel.
Désormais la production de gaz sur le complexe gazier d’In Aménas – via l’usine gazière de Tiguentourine, lieu de la récente prise d’otage meurtrière – représente toujours 9 milliards de mètres cubes par an, ce qui correspond à 12% de la production algérienne de gaz et à 18% des exportations de gaz du pays. L’ensemble du projet mené par BP, Sonatrach et Statoil représente un investissement de près de 2 milliards de dollars.
Aux cours actuels, la production annuelle du site peut être estimée à quelque 3,9 milliards de dollars … une somme plus que rondelette dans un pays fortement dépendant de la manne pétrolière, laquelle lui permet jusqu’à présent d’acheter la paix sociale. Selon le Fonds monétaire international, les hydrocarbures constituent 98% des exportations algériennes, 40 à 45% du Produit intérieur brut (PIB) et plus des deux tiers de ses recettes budgétaires.
Autre élément notable : le site de traitement de gaz se situe au carrefour de quatre gisements de gaz voisins (Tiguentourine, Hassi Farida, Hassi Ouan Abecheu et Ouan Taredert). Il est relié par trois gazoducs de 110 kilomètres de long au réseau de transport gazier de l’Algérie.
Reste que les exportations de gaz algériennes sont en concurrence directe avec le gaz russe en terme d’approvisionnement de l’Union européenne. L’Algérie ne constitue en effet que la troisième source énergétique de l’Europe pour satisfaire ses besoins en gaz, derrière la Russie (laquelle couvre près d’un quart des besoins européens) et la Norvège. Au final, la production de gaz du site d’In Amenas équivaut à 2% de la demande européenne.
Fait notable, en cas de perturbation prolongée de l’offre algérienne, les consommateurs européens n’auront d’autre choix que de se tourner vers la Russie.
Reproduisant le scénario qui avait vu le jour durant la guerre en Libye en 2011, période durant la quelle le géant gazier russe Gazprom avait pu accroître ses exportations gazières.
Une manière alors pour Moscou de gagner sur les deux tableaux, profitant de l’aubaine du conflit libyen pour augmenter ses livraisons de gaz tout en empochant de bien précieux subsides via le vente de nombreux armements au régime du colonel Kadhafi. Affichant même tout haut son opposition à d’éventuelles sanctions internationales, de peur que ces dernières ne détériorent trop lourdement les recettes de son industrie militaire.
A toutes fins utiles, rappelons qu’en janvier 2010, alors que le monde entier avait alors les yeux tournés vers la vente d’armes des Etats-Unis à Taiwan, redoutant le pire … la Russie avait annoncé fort discrètement avoir signé avec la Libye un contrat d’une valeur de 1,3 milliard d’euros en vue de lui fournir des armes.
S’exprimant lors d’une rencontre avec le directeur général d’une usine d’Ijevsk, centre important des industries d’armement russes, le premier ministre russe, Vladimir Poutine avait tenu lui-même à préciser qu’il ne s’agissait « pas seulement d’armes d’infanterie ». Entretenant toutefois le suspens, en « omettant » de préciser le type d’équipements acquis par Tripoli.
Simple hasard de calendrier ? Ou « juste » histoire de boucler la boucle ? Cette annonce de ventes d’armes intervenait alors que la Compagnie libyenne de pétrole (NOC), venait d’annoncer que le groupe pétrolier russe Tafnaft avait découvert un nouveau gisement pétrolier dans le bassin de Ghadamès, situé à environ 345 km au sud de Tripoli.
Ironie de l’histoire ? Simple coïncidence ? Désormais, ces armements vendus par la Russie au temps de Kadhafi ont été en partie « récupérés » par les rebelles … pour au final « servir » sur le territoire algérien. Et qui plus est, dans des opérations frappant l’Algérie en son point le plus stratégique : un site majeur en termes d’exploitations de gaz vers l’UE.
Les spécialistes considèrent quant à eux qu’en cas de réduction des exportations de gaz algériennes, l’Espagne et l’Italie devraient acheter davantage de gaz naturel liquéfié et davantage de gaz russe.
Sources : Dow Jones, El Watan, Interfax , AFP, Newsnt, Matin.ch
Elisabeth Studer – 24 janvier 2013 – www.leblogfinance.com