Amundi, premier gestionnaire d’actifs en Europe, attire l’attention sur les conséquences potentielles de l’adoption massive de stablecoins adossés au dollar. Le Sénat américain a récemment validé le « Genius Act » (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins), un projet de loi instaurant un cadre juridique pour ces monnaies numériques. Ce texte doit désormais recevoir l’approbation de la Chambre des représentants avant d’être soumis à la signature de la Maison‑Blanche.
Selon Vincent Mortier, directeur des investissements chez Amundi, la généralisation de ces instruments pourrait entraîner une réorganisation substantielle des flux monétaires internationaux. Il souligne que la prédominance actuelle du dollar dans ce segment représente un vecteur de « dollarisation » renforcée, susceptible de fragiliser la stabilité financière et de modifier l’équilibre des systèmes de paiement.
Les stablecoins fonctionnent en maintenant leur valeur via des réserves en monnaies fiat ou en actifs liquides. À ce jour, près de 98 % des capitaux investis dans ces jetons numériques sont adossés au dollar, tandis que plus de quatre‑vingts pour cent des opérations s’effectuent hors des États‑Unis. Cette configuration conduit à un afflux continu de capitaux vers les obligations du Trésor américain, un phénomène salué par les autorités de Washington mais porteur de risques.
D’après les estimations de JPMorgan, les encours en stablecoins pourraient doubler pour atteindre 500 milliards de dollars au cours des prochaines années. Certains scénarios tablent même sur 2 000 milliards d’ici la fin de la décennie. Un tel développement renforcerait mécaniquement la demande pour les titres de dette américaine, ce qui, tout en soutenant les financements de l’État fédéral, pourrait amplifier la dépendance mondiale au billet vert.
Vincent Mortier met en garde : « La création d’une alternative numérique au dollar renforce paradoxalement sa suprématie, tout en érodant la confiance dans la monnaie. Si un État utilise ces jetons pour permettre l’accès au dollar sans compte bancaire américain, cela envoie un signal de fragilité de la devise ». Selon lui, de tels mécanismes compliqueraient la capacité des banques centrales à conduire des politiques monétaires indépendantes.
En avril, Giancarlo Giorgetti, ministre italien des Finances, a jugé que les initiatives américaines en matière de stablecoins dépassaient le cadre d’une simple innovation financière. Il a évoqué une menace plus sérieuse pour la souveraineté monétaire européenne que les différends commerciaux antérieurs et a insisté sur le pouvoir d’attraction de ces jetons auprès de millions d’utilisateurs, privés ou publics, à la recherche de solutions de paiement alternatives.
La mise en place d’un standard réglementaire, via le Genius Act, répond à une volonté de réduire l’incertitude juridique entourant les stablecoins. Les promoteurs de cette législation estiment qu’elle permettra de mieux encadrer les émetteurs et d’instaurer des garanties de liquidité. D’autres acteurs, comme des représentants du secteur bancaire et des autorités de supervision, appellent à un équilibre entre innovation et protection des déposants.
Sur le plan opérationnel, l’émergence de stablecoins réglementés pourrait encourager la modernisation des infrastructures de paiement transfrontières, aujourd’hui jugées lentes et coûteuses. Des projets pilotes menés par plusieurs banques centrales suggèrent qu’un modèle hybride, combinant monnaie numérique de banque centrale (CBDC) et stablecoins privés, est envisageable pour optimiser l’efficacité et la résilience des réseaux de transferts.
La question du contrôle des réserves, de la transparence des bilans et de la gestion des risques de liquidité demeure au cœur des débats. Les superviseurs européens observent de près l’évolution du cadre américain, conscients que toute distorsion compétitive pourrait avoir des retombées directes sur les marchés financiers du Vieux Continent. L’intensification des discussions à haut niveau laisse entrevoir de prochaines étapes dans la coordination internationale sur le sujet.