La Banque du Japon (BoJ) accélère la normalisation engagée depuis 2024, après des décennies de taux proches de zéro et d’interventions massives sur les marchés. Le mouvement combine trois axes suivis de près par les investisseurs : relèvement du taux directeur, réduction graduelle des achats d’obligations souveraines japonaises (JGB) et préparation d’une stratégie de cession de ses importantes positions en fonds indiciels cotés (ETF). L’ensemble reconfigure le rôle du yen comme monnaie de financement et l’équilibre des flux internationaux de capitaux.
Un relèvement de taux à un plus haut de 30 ans
En décembre 2025, la BoJ a relevé son taux directeur de 0,5 % à 0,75 %, niveau le plus élevé depuis 1995, selon les comptes rendus de presse financière. Cette hausse s’inscrit dans une séquence de resserrement après le changement de régime amorcé en mars 2024, lorsque la banque centrale a mis fin au dispositif de contrôle de la courbe des taux (Yield Curve Control, YCC) et entamé son premier cycle de relèvement depuis 17 ans.
Ce relèvement intervient alors que les taux japonais, longtemps ancrés à des niveaux exceptionnellement bas, constituent une variable centrale pour les stratégies globales de financement et d’allocation d’actifs. L’écart de taux avec les États-Unis a été un déterminant majeur de la faiblesse du yen sur plusieurs années ; malgré le relèvement à 0,75 %, la devise japonaise est restée sous pression, suscitant des commentaires officiels sur le caractère “rapide” et “unilatéral” de certains mouvements.
Sur le marché obligataire domestique, la remontée des rendements est déjà visible : le taux du JGB à 10 ans a franchi le seuil de 2 %, un plus haut observé depuis la fin des années 1990, dans un contexte où les investisseurs ajustent leurs anticipations de politique monétaire et intègrent les perspectives d’offre de dette.
Un bilan encore massif, en phase de réduction graduelle
Le deuxième pilier de la normalisation concerne la taille et la composition du bilan de la BoJ. La banque centrale a accumulé des actifs à une échelle rare parmi les grandes institutions monétaires. Des séries de données macro indiquent un niveau proche des records historiques, autour de 745 à 765 milliers de milliards de yens selon les périodes, soit un montant comparable ou supérieur au PIB nominal japonais.
Dans un discours publié par la BoJ, il est indiqué que l’institution réduit progressivement ses achats de JGB depuis l’été 2024, avec l’objectif d’améliorer le fonctionnement du marché obligataire tout en préservant la stabilité financière. La logique est double : diminuer la dépendance du marché aux achats de la banque centrale et réintroduire davantage de formation de prix par les investisseurs privés, après une longue période où la BoJ a constitué l’acheteur dominant sur plusieurs segments.
Le dossier des ETF : un stock de 83 000 milliards de yens à gérer
Le troisième axe, plus spécifique au Japon, concerne les ETF acquis pendant la période d’assouplissement quantitatif. La BoJ est devenue au fil des années l’un des plus importants détenteurs d’actions domestiques via ses achats de fonds indiciels. Fin septembre, les avoirs en ETF avaient une valeur de marché d’environ 83 000 milliards de yens, pour une valeur comptable d’environ 37 100 milliards de yens, d’après la presse japonaise.
La question clé n’est pas seulement la taille du stock, mais la méthode de sortie. Plusieurs analyses indiquent que la BoJ envisage une cession étalée sur une période extrêmement longue. À un rythme de cession d’environ 330 milliards de yens par an en valeur comptable (soit environ 620 milliards de yens au prix de marché), le désengagement complet s’étendrait sur plus d’un siècle.
Ce calendrier réduit le risque d’un choc immédiat de liquidité sur le marché actions japonais, mais il modifie la lecture du “régime” : pendant plus d’une décennie, la BoJ a représenté une demande structurelle pour certains segments d’actions, via des achats récurrents d’ETF. Le passage à une phase de gestion et de réduction, même lente, introduit un changement de cadre dans la valorisation du risque domestique, notamment en période de volatilité où l’anticipation d’achats stabilisateurs jouait un rôle implicite.
Effets de transmission internationaux : Treasuries, flux en devises et coût du financement
Le Japon reste un acteur majeur sur les marchés internationaux de taux via ses investissements extérieurs. Sur le segment des obligations américaines, il demeure le premier détenteur non américain. Les données officielles du Trésor américain montrent des avoirs japonais autour de 1 189 milliards de dollars en septembre 2025, puis environ 1 200 milliards de dollars en octobre.
Ces positions sont surveillées pour deux raisons financières. D’abord, elles structurent une part importante de la demande étrangère sur les Treasuries, dans un marché où la sensibilité aux rendements réels et aux anticipations de politique monétaire est élevée. Ensuite, elles interagissent avec la couverture de change : lorsque le coût de couverture du dollar contre yen évolue, il affecte la rentabilité nette des placements obligataires américains pour un investisseur japonais. Des ajustements dans la politique de la BoJ, en influençant la trajectoire du yen et des taux domestiques, peuvent donc modifier les arbitrages entre placements domestiques et placements en dollars.
Le point d’attention, pour les investisseurs globaux, porte sur la direction du risque de “rapatriement” : si le rendement domestique des JGB remonte et si la volatilité de change augmente, certaines allocations internationales peuvent être réoptimisées vers le marché japonais, en particulier pour des institutions dont les passifs sont libellés en yen (assureurs vie, fonds de pension). Cette reconfiguration ne nécessite pas des ventes massives ; à l’échelle de portefeuilles de plusieurs centaines de milliards, une variation de quelques points d’allocation peut déplacer des volumes significatifs.
Le yen comme monnaie de financement : sensibilité accrue des stratégies de portage
Le yen a longtemps été utilisé comme monnaie de financement à faible coût, en raison de taux domestiques durablement faibles. La normalisation progressive augmente la probabilité d’une hausse du coût marginal de financement en yen, ce qui affecte mécaniquement les stratégies de portage et certaines expositions de marché financées en devise japonaise. L’enjeu n’est pas uniquement le niveau du taux directeur, mais l’ensemble des conditions financières : pente de la courbe des taux japonaise, volatilité du yen, et orientation de la banque centrale concernant la poursuite des hausses.
Les développements récents soulignent cette sensibilité : malgré la hausse de taux à 0,75 %, la communication prudente sur le rythme des ajustements a coïncidé avec une poursuite de la faiblesse du yen, ce qui alimente l’attention des autorités japonaises sur les mouvements de change. La volatilité de devises, en retour, influence la gestion du risque pour les investisseurs internationaux exposés au yen.
Repères chiffrés
| Indicateur | Niveau / information | Source |
|---|---|---|
| Taux directeur BoJ | 0,75 % (déc. 2025) | Financial Times |
| Bilan BoJ | ~745–765 milliers de Mds JPY (ordre de grandeur) | Trading Economics |
| Valeur de marché des ETF BoJ | ~83 000 Mds JPY (fin sept. 2025) | The Japan Times |
| Valeur comptable des ETF BoJ | ~37 100 Mds JPY | The Japan Times |
| Rythme indicatif de cession ETF | ~330 Mds JPY/an (book), ~620 Mds JPY/an (market) | MEXC |
| Treasuries détenus par le Japon | ~1 189 Mds USD (sept. 2025), ~1 200 Mds USD (oct. 2025) | U.S. Department of the Treasury |
Une normalisation graduelle, mais un changement de régime financier
Le fil conducteur de la trajectoire japonaise est la gestion du risque de transition. La BoJ tente d’éviter une discontinuité brutale : relèvements de taux par paliers, réduction progressive des achats de JGB, et stratégie de cession d’ETF étalée. Pour les marchés, l’enjeu se situe dans les ajustements de prix associés à la disparition progressive de plusieurs “ancrages” : coût du capital en yen, rôle stabilisateur de la banque centrale sur certains actifs domestiques, et contribution indirecte du Japon à la demande internationale d’obligations en dollars.
