Les start‑up françaises peinent à lever des fonds

L’année 2022 avait marqué un sommet historique pour les jeunes pousses tricolores, avec un total de 13,5 milliards d’euros collectés auprès de fonds d’investissement. Depuis, la tendance s’est inversée : selon le cabinet EY, les financements se sont établis à 8,3 milliards en 2023, puis à 7,8 milliards en 2024, traduisant un net fléchissement de l’appétit des investisseurs pour le capital‑risque français.

Au premier semestre 2025, l’effet de bascule s’est intensifié. Les montants investis entre janvier et mai affichent un recul de l’ordre de 30 % par rapport à la même période de l’année précédente, mettant à mal les hypothèses de redressement espérées par de nombreux acteurs du secteur. Ce repli touche tant les opérations de taille intermédiaire que les méga‑tours de table pouvant dépasser les cent millions d’euros : seuls trois d’entre eux ont été annoncés depuis le début de l’année.

Loft Orbital, acteur du spatial, a capté 170 millions d’euros ; Powesco, spécialiste de la transition énergétique, a levé 150 millions ; et Alice & Bob, pionnière dans le quantique, a sécurisé 100 millions. Certaines sources, comme le Financial Times, évoquent néanmoins la possible mobilisation d’un milliard de dollars par Mistral, leader hexagonal de l’intelligence artificielle, d’ici à l’automne 2025.

Plusieurs facteurs expliquent cet affaiblissement. Le climat politique français demeure volatil depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, et l’éventualité d’une nouvelle élection législative alimente une prudence croissante chez les bailleurs de fonds. Sur le plan international, la confrontation sino‑américaine dans la technologie et la recrudescence des tensions au Moyen‑Orient accroissent l’incertitude réglementaire et géopolitique. Les droits de douane et les barrières commerciales, susceptibles d’évoluer rapidement en fonction des perturbations diplomatiques, dissuadent les investisseurs cherchant une visibilité à moyen terme.

Pour Paul‑François Fournier, directeur exécutif de l’innovation chez Bpifrance, ces évolutions doivent être interprétées comme un ajustement salutaire après les années de croissance accélérée. Il anticipe une réduction d’environ 10 % des montants levés au cours du premier semestre 2025, une normalisation plutôt qu’un effondrement ; les start-up ne sont plus seulement jugées sur leurs perspectives de chiffre d’affaires ou leur valorisation potentielle, mais sur leur capacité à dégager rapidement des résultats positifs.

Aux yeux des créateurs d’entreprise, la donne a changé.

  • Greenly, plateforme de calcul d’empreinte carbone pour les entreprises, a dû revoir ses ambitions de recrutement : « Le resserrement des liquidités nous a conduits à accélérer notre professionnalisation et à optimiser nos dépenses », explique Alexis Normand, cofondateur.

  • FireTracking, qui présentait début juin son dispositif de détection des feux de forêt à VivaTech, a remporté un marché local en Indre‑et‑Loire, mais n’est pas en mesure d’engager de nouveaux talents tant que les conditions de financement restent tendues.

  • Les jeunes pousses de la greentech souffrent en outre d’une moindre attractivité des politiques vertes, y compris aux États‑Unis où les orientations de l’administration fédérale sont actuellement moins favorables aux initiatives écologiques.

Le recours à l’autofinancement s’amplifie également. La Vitre, solution de visioconférence basée sur l’IA, a contracté un prêt bancaire et mise sur le développement organique de son chiffre d’affaires pour alimenter sa croissance. Selon Romuald Boulanger, cofondateur, ce modèle « permet de limiter la dilution des fondateurs tout en préservant une marge de manœuvre stratégique ».

Par ailleurs, certaines start-up choisissent de se tourner vers le financement par la dette plutôt que le capital. D’après Franck Sebag, associé chez EY, « la rareté et le coût plus élevé des capitaux propres incitent les entreprises à privilégier des emprunts, d’autant que beaucoup ont consolidé leur rentabilité depuis 2022 ». Cette trajectoire séduit particulièrement les sociétés affichant déjà une feuille de route financière claire.

Un cas à part reste LightOn, entreprise d’IA qui a opté pour une introduction sur Euronext en novembre 2024. Le dirigeant, Laurent Daudet, argumente que cette stratégie garantit l’indépendance et encourage un ancrage français, alors que des acteurs comme Hugging Face ou Dataiku ont historiquement cherché des financements américains, au détriment de leurs racines hexagonales.

Les investisseurs, quant à eux, développent de nouveaux critères d’appréciation : les start-up doivent démontrer une trajectoire de croissance solide tout en respectant des jalons de rentabilité à court terme. L’époque où l’on valorisait avant tout la vitesse d’expansion semble révolue ; les fonds privilégient désormais les projets susceptibles de préserver leur trésorerie et d’atteindre l’équilibre opérationnel dans un horizon de quinze à vingt‑quatre mois.

Ce réalignement des attentes redéfinit peu à peu le paysage de l’innovation en France. Les entrepreneurs les plus résilients adaptent leur modèle économique à ces nouvelles exigences et revisitent leurs stratégies de levée de fonds : diversification des investisseurs, recours accru aux prêts structurés, et intensification des partenariats industriels. Ainsi, malgré un contexte moins favorable qu’en 2022, l’écosystème s’oriente vers une maturité accrue, où la performance financière se situe au centre des préoccupations.

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